Piotr Badration rencontrait quelques difficultés à mettre un pied devant l'autre. La solution la plus simple, et sans doute la meilleure, avait été finalement de monter à cheval.
Il était heureux. Enfin ! Enfin, il allait pouvoir écrire à son père que le galon de Colonel lui était accordé. "
Quelle bonne idée d'être venu t'empaler sur mon escadron de hussards, Louis* !", hurlait-il à qui voulait l'entendre.
Levant la bouteille aussi vivement que le sabre qu'il faisait tournoyer au-dessus de la tête, il paraissait encore plus dément qu'à la normale.
Le Prince Badration devinait déjà qu'il ferait la fierté de son père, comte de l'Empire russe. C'est tout ce qu'il était venu chercher à l'armée, finalement : une reconnaissance dynastique !
Le comte était revenu de Moravie en 1806 avec les deux jambes amputées. Piotr reviendrait de Saxe avec le grade de Colonel et la fonction de Commandant de la 2ème Division de la Garde, qu'il avait organisée avec son vieil ami, le Colonel Maxos.
Il jetait quelques pièces d'or au sol, portait en toute occasion le goulot de sa bouteille de vodka à la bouche, jurait comme un démon et souhaitait être seul. Lui seul pouvait mesurer l'importance de la situation. C'est en tout cas ce qu'il pensait.
Vladimir Stephanovitch*, frère de Piotr, avait bien évidemment dépêché l'un de ses officiers d'ordonnance pour le féliciter. L'officier Marineelov fût interpellé par Andrei Polkonski : "
Halte, Monsieur !", lança t-elle. "
Son Excellence, le Prince Badration, ne désire pas être congratulée pour le moment. Sa promotion ne sera effective que demain, à onze heures précises" annonça t-elle alors.
- "
Je saurais attendre le temps qu'il faudra, donc", rétorqua l'interlocuteur.
Regardant avec amusement le promu sauter de rive en rive, les deux adjudants se mirent à ricaner. Confuse, Andrei Polkonski reprit quelques allures : "
Il paraît que Zatopek a réintégré les rangs de notre armée", poussait-elle. "
Il semblerait également qu'il confirme ce que tout le monde pense tout bas de Michka le traître..."
- "
En effet. Tout ce que je puis dire, c'est que Michka, devenu Briscard, n'est pas porté en odeur de sainteté par cet homme."
- "
Au moment opportun, j'irai lui demander jusqu'à quel point les Grenadiers Réunis nous ont maudit tandis que nous faisions chuter leur ferme... A vrai dire, je m'en moque bien, mais je sais que mon Maître voudra le savoir."
Les mains serrèrent davantage la bride. Maudit soit le Français. Maudit soit celui qui poussait l'armée russe en Saxe. Andrei Polkonski, le regard sévère à présent, n'apercevait plus Piotr mais Saint-Pétersbourg. Qu'était devenu son jeune frère, Nikolaievich ? C'est à cause de son corps, malade, qu'Andrea avait pris la décision de porter l'uniforme à la place du cadet de la famille. Elle priait chaque soir pour que l'esprit de son frère dompta la chair et le sang.
- "
Et que vive la Russie !", s'étrangla t-elle soudainement.
* L'escadron de cuirassiers de Louis de Larthuriere, Garde Impériale, a été anéanti ce jour, le 8 octobre 1812.
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Édit : Correction syntaxe.