par vétéran Antoine de Froiss » Lun Sep 03, 2007 2:07 am
A la table du Major, les discussions allaient bon train. Le ton y était plutôt convivial et les verres aidaient à refaire le monde. Les Adjudants Lizeaux et Bergen refaisaient la campagne depuis le début en y apportant leurs analyses, le premier ayant "un regard plus neutre" du fait qu'il était "cartographe avant tout", le second soulignant l'importance des escadrons de la cavalerie pour franchir de longues distances.
De leur côté, Clément et Antoine discutaient de l'infiltration vers leurs arrières et des possibles moyens qui avaient été mis en oeuvre. Si l'un n'excluait pas l'éventuelle "entente entre certains officiers de l'Empire et les cavaliers du Tzar", l'autre préférait parler de "ruse de guerre". Bien évidemment, il était préférable de ne jamais opposer sa voix trop longtemps à celle du Major et Antoine finit par le laisser causer, écoutant tout en réfutant intérieurement certains des arguments qui étaient avancés.
Les gendarmes qui accompagnaient les officiers commentaient pour leur part les dernières manoeuvres et se félicitaient les uns les autres pour les anéantissements réussis. Toujours de bonne humeur, Gontran Papa arrosait tout le monde de sa bière. Il tenait sa choppe tout en gesticulant, tant et si bien qu'il reçut quelques réprimandes conjointes de la part de Clément et d'Antoine qui était agacés de devoir à chaque fois se reculer pour ne pas que le houblon n'entâche leur uniforme. Bien évidemment, l'homme bourru oubliait rapidement ce qui était dit et continuait à raconter ses petits exploits, comme la fois où il avait assommé un russe à grands coups de poings sur la tête car sa baïonnette était coincée dans le bras de son ennemi. Véritable histoire ou non, l'écouter était quelque chose d'amusant et tous les gendarmes riaient de bon coeur.
Seul Camille, fraichement arrivé de Bavière restait en retrait. Personne ne semblait s'intéresser à lui, petit nouveau, et il put donc prendre le temps de juger chaque personne présente. Il avait été tout d'abord surpris par le comportement qu'avaient eu la majeure partie des officiers, russes comme français, lors de leur rentrée dans la Taverne. On aurait pu croire que la Mort venait de franchir le perron pour emporter tout ce beau monde avec elle.
Puis une fois qu'ils furent installés, dans un coin assez excentré de la pièce, un subtil mouvement fut opéré et quelques officiers français se dirigèrent dans le coin opposé, tout en jetant quelques durs regards à l'adresse du Major.
Bien évidemment, certains gradés venaient les saluer, il reconnut par ailleurs un officier de la Gendarmerie, un Sous-Officier ressemblant à s'y méprendre au Maréchal Davout. Fort heureusement, il y avait des officiers valeureux pour mener les hommes vers Moscou et Camille comptait bien suivre leur voie pour accéder à des postes plus importants.
Devrait-il faire comme la Major qui était aujourd'hui respecté par ses adversaires et craint dans son propre camp ? Malgré tous les coups bas, les calomnies, il semblait être intouchable, comme si toutes ces paroles ne venaient jamais jusqu'à lui. Il lui arrivait bien de se mettre en colère contre un aide de camp après avoir entendu des mots durs à son égard, mais il était rarement désagréable avec ses hommes, ce qui lui conférait au sein de la Gendarmerie Impériale, une aura surprenante.
Camille se souvint de son arrivée à la Caserne, non loin du Camp de Base d'ailleurs. Il était arrivé par le côté du jardin donnant sur la Prison et en compagnie de ses artilleurs, avait franchi le portail pour se faire annoncer auprès de ses supérieurs.
Il faisait gris ce jour là, mais le temps était lourd et sec et son uniforme le démangeait. Dans la Cour de la Caserne, des gendarmes faisaient de l'exercice. Certains couraient dans le parc aménagé autour des différents pavillons, d'autres tiraient sur des cibles et un escadron de cavalerie longeait une piste prévue pour les bêtes.
Il y régnait un ordre tel, qu'il se souvint du sentiment qui l'avait submergé. Traversant les jardins vers le plus grand des bâtiments, il avait l'impression d'être un intrus au beau milieu de cet ordre parfait.
L'Honneur et la Droiture étaient des valeurs qu'il reconnaissait bien là, et acquiesça en les voyant inscrites sur le mur d'entrée de la Caserne.
A l'intérieur se trouvait une foule de personnes gesticulant, s'affairant par-çi, par-là, tout le monde semblait pressé. Un homme était à l'origine de tout ce remue-ménage. Il avait entre trente et trente-cinq ans, les cheveux coupés court et plaqués en avant pour dissimuler des golfes déjà bien prononcés pour son âge. L'Officier était selon toute vraissemblance un Major à en voir les épaulettes qu'il arborait sur son uniforme impeccable. Etonnamment, tout le monde était dans le même cas, pas une tenue de quartier n'était visible.
Le voyant pantois, l'Officier de Gendarmerie était alors venu jusqu'à lui pour connaître la raison de sa visite. Lorsque Camille se présenta en compagnie de ses hommes, le Major s'excusa pour le désordre (l'officier-artilleur crut d'abord à une plaisanterie) et les invita à le suivre dans un autre bâtiment où ils pourraient déposer leurs affaires et le suivre jusqu'au Mess où se réunissaient les estafettes de la Grande Armée.
Une fois que les instructions et la visite du champ de bataille furent faites, Camille eut le droit de faire ce qu'il désirait, tant qu'il respectait les entrainements et n'allait pas contre le travail des autres gendarmes. N'ayant toujours pas reçu les pièces d'artillerie qu'il attendait, il s'était fait une raison et étudiait sur de grandes cartes avec ses hommes, le champ de bataille et les positions intéressantes pour y placer de l'artillerie.
Depuis, il n'avait qu'entr'aperçu le Major jusqu'à ce soir, où il était venu le tirer ses appartements pour l'emmener dans l'air enfumé de la taverne du Teuton. Camille avait accepté l'invitation avec joie mais avait rapidement déchanté, remarquant le peu d'intérêt qu'on lui portait.
Bertrand Carles, fut le premier à s'en apercevoir, ou du moins, à faire signe au jeune homme.
" Et vous, vous en pensez quoi de cette campagne ? Partie pour durer, non ? "
Camille ne savait pas vraiment s'il pouvait donner son avis devant le Major. Après tout, il était désireux de rentrer dans ses bonnes grâces pour aider dans leurs rapports, mais ne voulait pas non plus passer pour un menteur. Aux propos du gendarme, tout le monde se tut, y compris Clément, qui attendait visiblement une réponse, son visage circonspect scrutant attentivement l'officier-artilleur.
" Pour l'heure, les moyens de l'Empereur sont bien trop limités, nous manquons d'hommes, de pièces d'artillerie et de cavalerie. En somme, tout nous fait pour l'heure défaut et ceci en partie à cause de notre campagne d'Espagne. "
Le blondinet plissa ses moustaches, comme s'il cherchait quoi répondre. A le voir comme ça, il faisait un peu trop jeune pour porter ses galons d'Adjudant, mais il semblait être très sérieux et très consciencieux.
" En somme, nous avons un gros soucis logistique. D'après ce que je sais, les forces britanniques sont maintenues en échec en Espagne. J'ai cru entendre en Bavière qu'on parlait de Wellington mais je ne me suis pas trop occupé de ces ragots.
D'ailleurs, si la Gendarmerie Impériale est si peu présente ici, c'est bien qu'elle est retenue vers la péninsule ibérique, à l'autre bout de l'Europe. Imaginez donc un Empire militaire devant scinder ses troupes face à tout une nation englobant différents peuples se battant pour protéger leur patrie.
Ces sauvages, dont fort heureusement, les plus éduqués parlent français, n'ont rien compris aux notions reines de République, de Droits Humains, de Constitution qui sont pourtant véhiculées à travers l'Europe par l'Empereur. En ce sens, je l'en remercie, il tente au moins d'éduquer les peuples les moins civilisés et comme à un âne, si la carotte ne fonctionne plus, autant passer au bâton. "
A en voir les airs satisfaits s'affichant sur les visages conjoints de Clément, d'Antoine et de Gontran, Camille avait réussi l'épreuve du feu.
Le Major avait ce même sourire que lorsqu'il allait piéger quelqu'un, ce même rictus narquois emplit d'une espèce d'on-ne-sait-quoi. Rajustant son collet rouge sang, il paraissait songeur, peut-être cherchait-il une erreur dans le raisonnement du jeune homme. Peu à peu, tous les regards se tournèrent vers lui, jusqu'à ce qu'il fasse un vague signe de main pour qu'on le laisse tranquille.
La fatigue, tout comme l'alcool rend la réflexion logique plus pénible, et il n'était guère difficile d'en trouver de parfaits exemples ici même. Peut-être que Clément venait-il de recevoir une leçon de la part d'un jeune adjudant sortant de l'école militaire, peut-être était-il en train de broder un raisonnement plus complexe autour de ce qui avait été dit ? Etant membre d'Etat-Major et ayant déjà côtoyé l'Empereur à plusieurs reprises, il devait en savoir bien plus sur les ordres de la Grande Armée que n'importe qui en ces lieux.
Mais au lieu d'apporter une réponse à Camille, il lui adressa un lourd silence accompagné d'un petit sourire satisfait et un clignement des yeux signifiant son approbation. Sans avoir dit un mot, il venait de gagner l'estime et l'admiration de sa jeune recrue.
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Félicitations à ceux qui auront eu le courage de tout lire. Si vous avez un commentaire ou si vous avez trouvé de grosses fautes, ma boîte à MP vous est ouverte pour corriger ça, j'ai relu en diagonale et il se peut que des fautes soient présentes.