par Francois Marie Hobé » Mer Mars 19, 2008 6:18 pm
Un vent glacial s'engouffra dans l'auberge miteuse tandis que Roscanvel prenait tout son temps pour retirer la neige qui recouvrait son bicorne et son manteau. Il secoua ses bottes contre le chambranle de la porte et la referma d'un coup sec, provoquant des mécontentements et des grognements devant son sans-gène et son manque de savoir vivre habituel. Mais Roscanvel avait l'habitude ; il dormait avec ses hommes en première ligne et se moquait pas mal des bonnes manières de la ville. Le genre qui pète dans des draps de soie et s'indigne des odeurs de pieds, ce n'était pas son genre...
Il ne rêvait que d'une chose, pouvoir prendre enfin un bon bain, - il n'avait pas eu l'occasion de se laver depuis que sa compagnie avait quitté Brugnov-, manger quelques choses de chaud et s'offrir un peu de distraction. L'arrivée des grandes gueules de la Gendarmerie n'est jamais une bonne chose dans une auberge du front, et Roscanvel se faisait une joie de goûter aux plaisirs de l'hospitalité locale. Il venait d'apercevoir à une table son ami Andréossy en discussion avec un officier de la garde qu'il n'avait pas encore l'honneur de connaitre.
Il se dirigea vers lui tout sourire, lançant à la cantonade une invective à l'adresse de l'aubergiste qui commençait prudemment de ranger ses verres et ses bouteilles.
" Holà, tavernier ! Va tu longtemps encore te foutre de notre gueule ! Nous allons t'inculquer les principes de la civilisation et de la République, alors ne fait pas languir plus longtemps les officiers de la Gendarmerie. Amène nous sans tarder ce vin que tu as détourné des stocks de la Grande armée et que tu revends à des prix indécents. Une bouteille chacun, et tu nous feras moitié prix comme d'habitude si tu veux que ton échoppe reste ouverte encore quelques temps"
Il tendit la main à Andréossy, qu'il n'avait pas croisé depuis longtemps et salua l'officier Sainte-Croix.
"Mes respects Lieutenant. Sous-lieutenant Roscanvel, XIème bataillon de la Gendarmerie Impériale. Ravi de vous rencontrer."
Tandis que le petit aubergiste se dépéchait d'apporter les trois bouteilles, Roscanvel en profita pour prendre la chaise laissée libre par l'officier parti faire ses prières. Il s'assit en cavalier, comme il en avait l'habitude, face au dossier et se balançait comme pour appuyer chacune de ses paroles.
" Sale temps dehors... Même les moujiks ne se risquent pas en patrouille ce soir... Alors, quelles sont les nouvelles par chez vous Sainte-Croix ? Les Russes cassent toujours les glaçons sur le Dniepr ? Ils sont toujours enfermés dans leur maudite forteresse comme des pleutres et des petits bourgeois craintifs ?..."