Les quatre cents hommes commandés par le Général de Dare, avançaient sans bruit dans la nuit, masqués par d'épais nuages. Quelques murmures étaient parfois audibles, rectifications de déplacements et griefs en étaient la cause.
Clément était à la tête de ce contingent servant pour l'heure comme simple troupe de ligne. Bien des fois il fut critiqué et considéré comme un gratte-papier, mais les braves qui combattaient avec lui savaient ce qu'il en était, Louis Loisot n'avait pas fait long feu à la tête de la 878° Compagnie de Gendarmerie, non pas à cause d'une mauvaise gestion des troupes mais simplement car le Général aimait la pétarade et éprouvait à chaque assaut, une sensation n'ayant pas d'égal, même entre les cuisses d'une femme.
Alors que ses hommes se trouvaient au beau milieu d'un bosquet, une formation sur trois lignes fut adoptée. Il était question de constamment réveiller l'ennemi et de le forcer à garder l'oeil ouvert et les fusils à portée le plus de temps possible, en vue de les épuiser jusqu'à ce qu'ils en meurent. Cette petite guerre d'usure avait déjà fait ses preuves à plusieurs reprises et était même devenue une spécialité de l'Officier de dare.
Une fois que tout fut en ordre, troupes rangées, armes épaulées, Antoine alla trouver son supérieur, sabre en main.
" Monsieur, les montés avaient raison, une seule compagnie se trouve face à nous, que devons-nous faire ? "
Le but était de faire le plus de dégâts et d'effrayer un ennemi important. Cependant l'occasion qui s'offrait à eux était vraiment belle. En plus de faire tomber une compagnie, ils pourraient porter un sérieux coup au moral des russes le lendemain.
Le Général eut à nouveau ce rictus qui lui était si particulier, mélange de sévérité et de satisfaction. Les sourcils froncés, il se posa quelques instant sur un tronc d'arbre fraichement coupé et analysa la situation. Il resta ainsi quelque secondes, caressant du bout des doigts son menton.
" Ordonnez aux hommes de faire feux pour qu'ils aillent à la mêlée avec les survivants. Je veux que nous prenions leur drapeau. "
Son Adjudant fit demi-tour sans un mot, et le Général se leva et tira sa lame. Il était presque joyeux de la situation. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu à utiliser son sabre et comptait bien en faire usage ce soir.
Un cri rauque fut poussé et une puissante mais dévastatrice salve fut tirée. Une langue de feu et de poussière s'échappa de la longue ligne française et le plomb vola en direction des russes qui s'étaient regroupés autour de le bivouac. Ce ne fut que lorsqu'ils virent au loin un groupe de démons être éclairés quelques instants grâce à leurs fusils que l'alerte fut donnée au milieu de plaintes des soldats blessés.
Le monstre français avait disparu aussi vite qu'il était apparu ce qui troubla les hommes qui étaient brusquement sortis de leur sommeil et prenant leurs armes cherchaient d'où étaient venus les tirs. Les hommes en état de combattre se trouvèrent donc autour du feu qui les éclairaient et faisaient d'eux une cible de choix.
Toujours à l'abris de quelques buissons éparts, les français avaient eu le temps de recharger leurs fusils. A nouveau une salve fut tirée et un bruit sourd déchira l'air avec la même vigueur qu'un éclair mais ne se tut pas. Il fallut quelque secondes aux hommes pour se lever et partir baïonnettes en avant vers le dernier carré russe. Ceux-ci semblaient être terrifiés et l'odeur mêlée de la poudre, du sang et de chair brûlée augmentait un peu plus la peur ambiante.
Le cri poussé depuis la seconde salve ne s'arrêtait pas, même lorsque les gendarmes quittèrent les ombres pour apparaitre à la lumière du bivouac aux russes qui tirèrent une salve. Quelques gendarmes tombèrent mais un flot important tomba alors sur les russes. Les baïonnettes avaient longtemps été préparées et très vite la mêlée tourna court. Il ne resta bientôt plus que quelques blessés qui seraient là pour apporter aux Généraux adverses des explications sur la nuit qu'ils venaient de passer, si encore ils arrivaient à survivre au milieu du brasier qui était allumé grâce aux tentes des défunts.
Le Général ordonna donc le repli, après qu'il eu en main le drapeau ennemi, des cartes et carnets détenus par des russes. Il fit aussi le plein de vivres avant que le feu ne les emporte. Il appelait ça son butin de guerre et en faisait pleinement profiter ses hommes car il savait que leur ardeur au combat en était plus grande. On dégagea les morts et blessés français vers les arrières, jusqu'au bivouac français où les attendaient le groupe monté de la Gendarmerie Impériale et quelques médecins.
La soirée avait été bonne pour la France avec la mise en déroute d'une compagnie ennemi et la frayeur que pareille action engendrerait du côté ennemi. Le Général était lui aussi satisfait, son sabre avait vu passé quelques moskovites et des têtes étaient tombées, finalement, il ne regrettait pas la guerre !