La mort d'un Gendarme

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La mort d'un Gendarme

Message par vétéran Antoine de Froiss » Lun Jan 14, 2008 1:28 am

" Vous voulez que je vous raconte quoi comme histoire, ce soir ? La mort du Vice-Prévôt de Dare ? Encore ? Soit, soit… "

Le vieil homme, assis dans son fauteuil regarde le feu crépiter dans la cheminée alors que trois marmots sont assis en face de lui, sur une banquette de bonne fortune. La pièce sent bon la lavande et le musc, le mobilier ainsi que les tableaux ne trompent pas, la demeure est celle de quelqu’un vivant dans l'opulence.

Le conteur semble absent, le regard terne et la mine soucieuse, peut-être qu’il cherche à prendre l’histoire mainte fois répétée par un autre bout, qui sera quelque peu changeant et permettra de tenir encore et toujours en haleine ses petits-enfants jusqu’à la fin de l’histoire. Pourquoi ce grand-père raconte-t-il ses faits d’arme ? Peut-être pour montrer qu’il y a quarante ans, les hommes de la Gendarmerie Impériale se battaient avec un honneur et une bravoure sans pareil.


" S’il y a bien quelque chose qui fait le charme de la Russie et est l’exemple type de l’indolence et de la caresse, ce sont les chutes de neige en hiver. Avec le recul, elles me manquent ces journées où les flocons tombaient à en recouvrir le shako, comme si un petit ange vidait un sac dans les nuages sur nos têtes.

Il neigeait ce Dimanche là. Je m’en souviens car nous avions monté quelques petits talus assez haut pour y tenir accroupi derrière et se protéger ainsi du froid mordant qui soulevait les fourrures et les uniformes et nous dévorait les chairs nues.

Vous avez vu mon oreille ? Ce n’est pas un sabre ou une baïonnette qui a fait ça, la tranche nette est l’œuvre du froid mes enfants. "

Esquissant un sourire, le Colonel soupira avant de reprendre.

" La Gendarmerie Impériale se battait aux alentours d’une ville un peu comme celle où habite votre oncle Ignace, une rue principale, des maisons le long et tout autour de grands champs. Le Vice-Prévôt Clément de Dare avait eu été décoré par le Grand Prévôt et félicité par l’Etat-Major de la Grande Armée pour son travail et avait reçu des uniformes des Grenadiers pour ses hommes une semaine auparavant et devait donc faire preuve de courage et braver le froid en première ligne pour épauler et assister les officiers moins expérimentés. "

Devant l’émerveillement des enfants, se tenant les uns à côté des autres, le visage entre les mains et attendant la suite, le vétéran reprit.

« Si de nombreux officiers français craignaient des russes comme Alexandre Ivanovitch, Ivan de Rastak, ou les terribles hordes Cosaques, tous craignaient et haïssaient un homme, le Vice-Prévôt de Dare. Lorsqu’il était à l’Etat-Major, il commandait avec une telle dureté que le premier qui voulait allait contre sa volonté se retrouvait soit en prison ou accroché à un poteau d'exécution. Pour tout vous dire, les officiers de la Grande Armée le craignaient sans doute plus qu'ils ne craignaient les russes en face. D’ailleurs, je vous montrerai un de ces jours les lettres qu’il avait reçu de plusieurs officiers ennemis, comme le Duc Michka ou le royaliste Rumph.

Pour en revenir à mon histoire, Clément et ses gendarmes se trouvaient en première ligne de front car avaient attaqué la veille, en pleine nuit, comme des démons qui attaquent les vilains enfants. Je m’en souviendrai jusqu’à mon dernier soupir ! La 878° Compagnie de Ligne de la Gendarmerie Impériale se tenait à respectueuse distance de la ville et de l’ennemi, alors que j’avais ordonné à mes hommes de remonter vers le nord de Brugnov, alors que nous avions été attaqués le matin même. »

Un tremblement dans la voix coupa le narrateur dans son élan. Cet aveu semblait toujours autant lui faire mal, comme s’il se sentait coupable de l’abandon de son supérieur.

" Nous avions surveillé toute la matinée à la longue vue les positions des hommes du Chef de Bataillon de Dare, sans que rien ne se passe, nous pensions qu’en cas d’attaque nous pourrions bouger très rapidement et intervenir.

Mais alors qu’une heure de l’après-midi venait de passer, mes éclaireurs m’informèrent que d’un escadron de cavalerie légère avait chargé la compagnie de gendarmerie qui avait répliqué presque aussitôt. Nous étions persuadés que le Vice-Prévôt ordonnerait le repli, mais le souci est qu’il laisserait devant des compagnies bien moins expérimentées que la sienne.

Alors que trois autres compagnies russes s’avançaient au pas de course et que nous pensions qu’il nous rejoindrait, Clément fit totalement l’inverse. Il fit lancer ses hommes à l’assaut de l’ennemi ! Nous ne savions pas que son pire ennemi se trouvait en face, l'Officier Vassilev qu’il avait toujours eu envie de combattre. Je ne sais pas par quelle magie mais malgré les charges et les tirs successifs, la 878° tenait toujours ! Il fallut attendre 8 attaques successives pour que les russes fassent demi-tour.

Je me suis alors empressé d’envoyer mes hommes chercher les blessés sur le carré qu'avaient formé les grenadiers pour contrer les salves ennemies et j'espérais que Clément ne me fasse signe, au milieu des morts et des blessés, pour que je le dégage de là.

Mais après l'assaut russe, il ne restât plus aucun gendarme vivant. Ce Dimanche fut le plus sanglant de que notre bataillon connu jusqu’alors et l’amoncellement des corps décharnés nous rendit malade, nous connaissions chacun des hommes se trouvant dans la compagnie, certains se battant depuis la campagne d'Italie ou d'Egype dans les rangs de la Gendarmerie Impéraile. Sous la surveillance des russes, nous nous efforçâmes alors de ramener tous les corps à Brugnov pour ne pas les laisser pourrir avec les leurs. Nous trouvâmes alors celui du Vice-Prévôt, écrasé par celui de cinq autres hommes. "

Les deux garçons et la fillette se redressèrent et se tinrent au garde-à-vous, droits comme des ‘i’. Ils connaissaient la suite mais voulaient tout de mettre l’entendre, une fois encore, ils attendirent donc l’autorisation de rompre le rang pour entendre la suite.

" C’est Théophile qui le trouva, étalé de tout son long, sur le dos et souriant à Dieu… Il n’avait pas même pris la peine de sortir ses armes lorsqu’il fonça dans les rangs russes, son sabre étant resté dans son fourreau, tout comme son pistolet. Nous pensions qu’il aurait combattu et attaqué l’ennemi avec ardeur mais c’est la que nous avons compris qu’il était parti vers la mort glorieuse qu'il souhaitait.

Pour une fois les enfants, je vais vous raconter quelque chose que vous ne savez pas.

Le Vice-Prévôt devait être exécuté prochainement mais avait reçu l’autorisation de combattre avec ses hommes, tous gendarmes. Ils devaient le garder à l’œil mais aussi en vie, l’Empereur voulant profiter de sa mise à mort comme pour montrer à tout le monde qu’il ne fallait pas rigoler avec lui.

Clément avait eu jusqu’à Dimanche soir pour se trouver sur le front, devant ensuite être reconduit en cellule, jusqu’au jour où on l’en sortirait pour le tuer. Ses hommes ont donc préféré mourir avec lui, plutôt que de le rendre à l’Empereur et la Justice de l’Etat-Major de l’époque.

Ce fut pour nous une chose d’une telle profondeur, d’une telle grandeur que nous ne pouvions y croire. Napoléon avait averti le même jour que si la Gendarmerie Impériale ne reprenait pas la direction de la police ferait en sorte que tous soient renvoyés en France ou exécutés. Indirectement, Clément changea le cours de l’histoire de notre Force Prévôtale et je suis sûr au fond de moi qu’il était au courant des manigances de l’Empereur mais qu’il fit en sorte de les contrecarrer.

Ainsi, Basile Arsenevitch, Vladimir Proustkov, Ivan Vassilev et Vassili Roumanovitch furent ceux qui écrirent une page importante de la Gendarmerie Impériale, sans doute la plus glorieuse pour notre bataillon de toute son histoire, et sans conteste celle qui fit changer le cours de la Guerre sans qu’ils ne le sachent. "
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vétéran Antoine de Froiss (Mat. 878)
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