Le ciel était gris et noir, le tonnerre grondait au sud.
Pokotylo observait les hommes de la Garde du Tzar à quelques verstes devant lui. Ils semblaient camper sur leurs positions, tout en maintenant à distance les franskys.
A l’arrêt depuis quelques heures, quelques-uns de ses hommes étaient descendus de cheval.
Ils semblaient à la fois fatigués et déterminés.
Pokotylo faisait les 100 pas et attendait. Il se demandait si les officiers qui lui avaient répondu tiendraient leurs promesses.
L’air lourd et moite lui donnait chaud.
« Par les os de la Grande Catherine, il fait jamais un temps normal dans ce fichu pays.
Un coup trop froid, un coup trop chaud.
Et cette attente intenable ! »
Il remonta sur son petit cheval à la couleur incertaine, et regard à nouveau l’horizon au sud. Il voyait toujours la ville et le Palais ou tout semblait calme, à part quelques compagnies de la Garde qui remontaient de leur campement.
Et le tonnerre qui grondait toujours, de plus en plus menaçant, au sud. « Il fait trop noir, bientôt nous n’y verrons plus rien. »
Il s’apprêtait à descendre à nouveau quand il distingua un murmure que tous les cosaques apprennent à connaître depuis la naissance.
Ce bruit n’avait rien à voir avec la rumeur du tonnerre et enflait doucement.
Entre deux roulements de tambour des fusiliers de la Garde, il distingua encore mieux ce mélange de tintements, de clapotement, de bruissement de lame de fond.
Puis à la lueur d’un éclair lointain, il les vit : le scintillement d’armes si caractéristiques : des pointes de lance.
Pokotylo sourit :
« Le 2eme Pulk , évidemment. Eux, je pouvais compter sur leur aide ! ».
Il voyait à chaque éclair s’approcher une masse de lance. Ils semblaient être d’abord 100, puis 150, puis 200…
Pokotylo, assoiffé à l’idée de la pluie qui arrivait, demanda une gourde à l’un de ses frères cosaques : « A boire, camarade ! Il va tomber des cordes et je ne veux pas être plus trempé de l’extérieur que de l’intérieur ! »
Le soldat lui tendit sa gourde de vodka, que l’officier siffla en 3 secondes !« Haaaaâ ! j’ai les idées plus claires maintenant »
Et pourtant la chappe de plomb du ciel noir passait actuellement sur les têtes de cosaques. La Ville devenait invisible.
On entendait loin à l’est le crépitement de mousquets et de fusils. Le 1er Pulk et l’Opoltchénie semblaient donner du fil à retordre au III corps fransky. Encore une bonne chose.
Regardant à nouveau vers le sud, Pokotylo, qui y voyait beaucoup mieux après sa vodka, vit que l’orage allait bientôt éclatter. La zone des éclairs s’approchait el vent se levait de plus en plus fort.
C’est alors qu’entre deux rafales, il entendit les trompettes de cavalerie sonner le rassemblement. Et un autre éclair juste après lui apporta la confirmation de ses espoirs : à côté des lances cosaques, il aperçut des centaines d’autres lumières se refléter sur des boutons de manchettes, des plaques de cuivre, des cuirasses, des casques et des sabres !!! Au fur et à mesure de l’arrivée de l’orage, il voyait se positionner près de 2000 cavaliers entre ses amis cosaques et le Palais du Tzar !
« Ils sont là !! enfin !! »
Les hommes de Pokotylo, rassemblés, regardaient avec émotion arriver tous ces cavaliers. Ils étaient fiers pour leur chef de guerre ! Une missive, un appel, et une grande partie de la cavalerie de toute l’armée du Tzar était arrivée à l’appel du simple petit Cosaque Manchot.
Des estafettes s’approchèrent alors de la sotnia. Ils cherchaient dans l’air de plus en plus sombre la présence d’un uniforme invisible.
L’un des cavaliers russes appela :« Y a-t’il ici un officier appelé Berner Von Pommern, ou un autre appelé Pokotylo ? »
Une vois à l’accent germanique répondit :
« Le Berner est ici ! Et l’officier Pokotylo est devant toi, même si tu ne reconnais pas son « uniforme » !»
Pokotylo sourit à cette remarque germanique et dit : « qui va là, soldat ? »
Les diverses estafettes rassemblées signalèrent alors les origines de leurs troupes : il y en avait de toute l’armée, des cosaques, des prussiens, des autrichiens … de tous les régiments de l’armée, depuis le 1er d’infanterie à l’ Opoltchénie… de l’Armée du Tzar aux partisans du Lys…
Et d’autres allaient arriver.
Pokotylo s’adressa alors à eux :
« Remerciez de ma part vos officiers d’avoir répondu à ce rassemblement de cavalerie.
Maintenant, allons-y !! La Garde est bloquée sur cette pleine depuis des semaines et d’autres régiments ont subit de lourdes défaites sur ce front ! Il est temps que cela bouge. Or, qui mieux que la cavalerie peut courir et charger sur la pleine ?
Où trouverez- vous des champs aussi grands et libres d’obstacles ailleurs sur le champ de bataille ?
Camarades de l’armée russe, il y a ici toute la place disponible pour laisser courir vos chevaux et faire couler le sang de l’ennemi fransky au bout de vos lances et de vos sabres.
Et la Garde est là, toute prête à emboîter le pas derrière les sabots de vos chevaux !
Ils finiront à la baïonnette les rescapé franskys que vous n’aurez pas pu achever. »
Chaque estafette parti vers son escadron. Et tandis que tombaient les premières gouttes de pluie, Pokotylo pensa et espéra : si cette action fonctionnait, et si d’autres cavaliers étaient encore sur le point d’arriver, ils allaient tellement dégager de terrain que les Cosaques et Opoltchènes pourraient détruire le fortin fransky et que les Préobrajensky pourraient enfin pousser vers la Rika et menacer la Ville de Toïvonen ! Enfin les choses avaient une petite chance de bouger !
Et puis surtout, il y avait ce butin ! Tous ces cavaliers n’allaient pas manquer de tomber sur les besaces pleines de monnaies françaises, de bijoux volés à Moscou, et de donzelles abandonnées dans les bagages…
Il fut tiré de sa rêverie par des salves toutes proches : la Garde ouvrait le feux !
Tirant son sabre du fourreau, il le leva en l’air !
Il entendit alors les trompettes des autres escadrons, réparti partout à l’arrière de la Garde, il entendit les ordres hurlés dans toutes les langues slaves et germaniques…
Les premiers chevaux se lançaient au galop, passant entre les compagnies de Gardes qui tiraillaient sans arrêter…
Pokotylo, se retournant vers ses hommes, hurla alors :
« Cosaques ! Cette action, vous l’avez rêvée depuis des mois ! Allons-y, chargeons ces porcs français, allons leur faire payer cher pour le sang versé de nos frères de la Diévouchka. Mort aux mangeurs de grenouilles ! Mort aux habits bleus ! Au pillage ! Aux culs de françaises !! En avant !!!!!Chargez !!!!!!!! »
Partout les mêmes ordres avaient fusé ! Les Cosaques, lances élevées, coururent vers les lignes ennemies, passant au travers des feux et fumées des fusillades de la Garde…
1000 lances et sabres s’abaissèrent … le tonnerre explosa au-dessus d’eux… la pluie éclata… dans le tonnerre des sabots de la cavalerie, le tonnerre des cieux de la Russie, les français virent la peur, la fureur et la mort courir sur eux !!!!