La visite de Napoléon à Nantes (un peu d'histoire...)
Publié : ven. oct. 10, 2008 4:20 pm
L’Empereur à Nantes
9, 10 et 11 août 1808
- 3 journées qui changèrent la ville -
À l'occasion des journées du patrimoine, nous avons pu, à Nantes, commémorer le bicentenaire de la visite de Napoléon. Cette visite a eu un impact direct sur le ville puisque de nombreux édifices datent de cette période et doivent leur réalisation à la visite impériale. Ce sera la seule visite que l'Empereur fera en Bretagne (qui a dit que Nantes n'est pas en Bretagne?...), et l'occasion de vous livrer ici un petit travail de recherche et compilation historique...
Bonne lecture.
********************
À la fin de l’année 1807, les rumeurs d’une visite de l’Empereur à Nantes, parviennent au préfet de Loire-Inférieure, M. de Celles. Ces nouvelles se précisent au début de l’année 1808, suffisamment pour que des volontaires, jeunes hommes républicains côtoyant d’anciens royalistes et grands bourgeois, se présentent spontanément pour former une Garde d’Honneur qui accompagnera l’Empereur. Le 28 mai suivant, Fouché, ministre de la police informe le préfet de la venue probable de l’Empereur, afin que des mesures de sécurité draconiennes soient établies. Mais l’opposition reste marginale, car l’avènement de Napoléon Bonaparte et le Concordat ont mis un terme aux guerres civiles de l’Ouest. Même si la chouannerie en Loire-Inférieure n’est pas morte, (les réfractaires à la conscription qui tiennent tête aux gendarmes, groupés en bandes organisées, sont chaque jours plus nombreux), les revendications des Nantais portent surtout sur le terrain économique.
Cette visite répond à plusieurs objectifs. L’Empereur souhaite se rendre compte en personne de la situation dans les anciennes régions insurgées. L’unité nationale doit être la preuve de la réconciliation entre les anciens camps antagonistes. Il souhaite également relancer l’économie d’une ville qui a perdu de son aura du siècle précédent. Enfin, Nantes est un pion essentiel du dispositif de blocus de l’Angleterre.
Depuis la fin de XVIIIème siècle et la révolution, Nantes, qui avait dû sa prospérité au commerce avec les « îles » et au trafic du « bois d’ébène », a vu considérablement décliner ses activités lucratives. La visite de l’Empereur incarne donc un espoir de relance de l’économie et de reconstruction de la cité. La crise paraissait profonde et irrémédiable, le commerce extérieur se réduisant à presque rien, mais l’Empereur s’apprêtait à demander aux Nantais encore plus d’efforts. Poursuivant la lutte implacable contre l’Angleterre par le blocus, il est indispensable que les vaisseaux anglais ne puissent aborder les côtes de l’Europe. Le port de Nantes sera chargé de surveiller les rives de la Bretagne et de la Vendée, ce qui n’arrangera pas le commerce local.
C’est donc une visite très politique qui est programmée.
Fouché confirmera le 25 juillet la visite de l’Empereur : ce sera les 9, 10 et 11 août 1808, et demande au préfet de « préparer les esprits ». La municipalité débloque alors un budget important : 60.000 francs pour réaliser les aménagements nécessaires à la visite impériale. Les artiste locaux sont mis à contribution pour élever des monuments célébrant la venue de l’Empereur et « présenter les objets les plus durables pouvant perpétuer le plus longtemps le souvenir du bonheur des Nantais ».
Au terme d’un séjour de trois mois en province, où il s’est arrêté, entre autre, à Bayonne, Toulouse ou Bordeaux, l’Empereur a prévu de finir son périple par la Bretagne. Quittant la Vendée où il vient de visiter sa ville nouvelle, Napoléon, il est de mauvaise humeur. Les travaux d’avancement de la ville ont pris du retard, il en a marqué aux architectes consternés, son vif mécontentement. De plus, les nouvelles qui arrivent d’Espagne ne sont pas bonnes. La défaite de Bailén, qu’il a apprise alors qu’il était à Bordeaux, résonne durement aux oreilles de l’Empereur. « Depuis que le monde existe, il n’y a rien eu de si inepte, de si lâche ! » s’écrit-il. Il a donné l’ordre d’arrêter le général Dupond de l’Etang à son retour.
Et comme toujours, acharné de travail, il dort peu, voyage de nuit, veut tout voir et tout contrôler.
Nantes, la prochaine étape s’est préparée à la venue du cortège impérial qui arrive en force. Le couple impérial est attendu avec impatience avec son impedimenta, l’archevèque de Malines (son aumônier), Talleyrand, Duroc, le ministre de la Marine, les généraux Bertrand et Lebrun, le préfet du palais, les dames d’honneur de Joséphine, etc…. En tout treize voitures composent le cortège impérial.
Le 8 août est une journée d’attente. Une foule immense se porte sur les routes par où doit arriver l’Empereur. La nuit tombe et malgré la pluie, l’enthousiasme populaire ne diminue pas. Parti de 3 heures de l’après midi de Napoléon, le cortège impérial arrive à la limite de la Loire-Inférieure vers une heure et y trouve le préfet avec un détachement de la Gendarmerie Impériale et de la Garde d’Honneur, venus à sa rencontre. L’Empereur monte dans une voiture plus rapide et repart sans tarder.
Le cortège arrive en pleine nuit par le sud, à Pont Rousseau où l’on a fait bâtir un arc de triomphe de douze mètres de haut et onze de large, orné d’allégories et d’inscriptions à la gloire de l’Empereur (« l’Arbitre, le Héros, le Bienfaiteur du monde, le Pacificateur de l’Ouest »). Dans le centre ville, place Impériale (actuelle place Royale), un obélisque de 18 mètres de haut se dresse avec en son sommet un aigle aux ailes déployées. Sur les faces, des inscriptions en vers dont la banalité n’a d’égal que la flagornerie : A peine au printemps de sa vie, il surpasse César en magnanimité, Alexandre en grandeur, Hannibal en génie, Charlemagne en activité.
Place Graslin, s’élève un monument baptisé « Temple des Muses », un buste colossal de Napoléon entouré de 9 muses, avec des inscriptions de la même veine vouant à la reconnaissance des siècles à venir « le plus grand des héros ».
Mais ces divers motifs qui coûtèrent à eux seuls 20.000 francs, ne font pas perdre de vue au Conseil Municipal, les intérêts de la ville. Un document très précis avec les besoins de la cité est préparé pour être mis sous les yeux de l’Empereur. Tout est passé en revue, établissements municipaux, travaux publics, hospices, quais, fontaines, ponts, approfondissement de la Loire, etc… L’exposé des principaux besoins de la commune ainsi que d’autres questions importantes ne manqueront pas d’être soumis à l’Empereur.
Le carrosse impérial tiré par huit chevaux arrive enfin, annoncé par une salve de canons. Il est deux heures trente du matin.
Le maire de la ville, Bertrand-Geslin, accompagné du corps municipal, de la Garde d’Honneur (263 volontaires à cheval, des « personnes dont le dévouement pour Sa Majesté est sans borne ») et d’un détachement de la Garde Nationale, sont là pour l’accueillir. « Les Bretons n’ont pas perdu la loyauté ni la noble franchise de leurs ancêtres. Ils brûlent de donner à votre Majesté des preuves de leur dévouement… »
On remet à l’Empereur les clés de la ville sur un plat d’argent. « Elles sont en de bonnes mains » répond-il en les rendant aussitôt, ne souhaitant pas s’attarder, et monte avec l’Impératrice Joséphine dans un magnifique carrosse que la municipalité a construit pour lui. Lentement le cortège s’avance à travers la foule qui s’accroît de minute en minute et pousse sans discontinuer les cris de : « Vive l’Empereur ! ».
On conduit les hôtes à l’Hôtel d’Aux, où le couple impérial loge dans les appartements du préfet, au second étage. Napoléon et Joséphine sont reçus dans le grand salon par le général Dufour commandant la place, le préfet et le maire. Mais l’Empereur, préoccupé, mène rapidement la réception et se retire dans ses appartements à la porte desquels, Roustan, son fidèle mameluk se met à veiller.
Ce sont évidemment les malheureuses affaires d’Espagne qui l’accaparent tout entier. Il vient de recevoir un rapport circonstancié de la capitulation d’Andujar. Tremblant d’émotion et de colère, l’Empereur travaille toute la nuit, dictant à son secrétaire d’Etat Maret, la relation qui doit être insérer dans le Moniteur. Il déplore dans une lettre au général Clarke, ministre de la Guerre, « cette perte de 20000 hommes d’élite et choisis, qui viennent à manquer, sans même avoir fait éprouver à l’ennemi aucune perte considérable » et surtout « l’influence morale que nécessairement cela doit avoir sur cette Nation ».
Quand il songe à prendre un peu de repos, le soleil est déjà levé depuis longtemps, et la foule attend sur la grand place devant l’Hôtel (actuelle place Foch), la sortie du couple impérial. Le lieu ne désemplit pas. On vient acclamer comme il se doit le pacificateur de la région.
Dans la matinée, l’Empereur se fait présenter les autorités publiques. Les discours sont brefs, comme Napoléon les aime, et le maire soumet sans tarder la délibération relative aux besoins de la ville et aux améliorations projetées pour sa prospérité, son embellissement et sa salubrité.
L’Empereur interroge, veut tout savoir, rien de ce qui est nantais ne doit lui rester inconnu. Il s’informe du prix des terres dans le département, des la levée de l’impôt et de sa répartition, veut savoir quel est l’effet produit en Bretagne par le nouveau code du commerce. Il vante les mérites de la culture de la betterave à sucre, promise, selon lui à un brillant avenir. Avec les ingénieurs, il s’entretient du canal de Nantes à Brest et évoque le creusement d’un canal maritime parallèle à la Loire (le futur canal de la Martinière).
À six heures du soir, il décide de parcourir les principaux quartiers de la ville.
Un peloton de la Garde d’Honneur ouvre la marche devant l’Empereur, vêtu d’un uniforme vert de Colonel des Chasseurs à cheval de la Garde et chevauchant un cheval gris-pommelé de petite taille. Il fait une première halte au lycée Impérial (actuel lycée Clemenceau) qui a ouvert ses portes en avril. Les élèves en uniforme bleu foncé sont rangés en bataille dans la cour. Dévisageant chacun comme il sait si bien le faire, il se fait présenter les meilleurs éléments qui intègreront l’école Militaire ou l’école Polytechnique. Il entreprend de visiter ensuite les dortoirs et les classes, et la visite s’éternisant, les grenadiers de la Vieille Garde chargés de sa sécurité s’impatientent, s’inquiètent du temps passé par l’Empereur à cette visite hors protocole. L’un d’entre eux prend sur lui de partir à sa recherche dans les couloirs du lycée… « Où est l’Empereur ? », sa voix traverse le bâtiment, mais voyant Napoléon toujours bien entouré et que la situation n’a rien d’anormal, le vieux briscard s’en retourne auprès de son détachement…
Alors qu’il quittait une classe, une femme vêtue en noir vient se jeter aux pieds de l’Empereur en l’implorant. Ses deux fils sont élèves au lycée. Il s’agit de l’épouse du Général Gaspard Normand, mis en prison depuis 1804 pour sa participation au complot du général Moreau, et qui demande la libération de son mari. Napoléon acceptera sa demande ; Normand sera réintégré dans l’armée (mais mourra plus tard en Russie…).
Il se rend ensuite au château, qu’il visite rapidement (il avait failli être détruit pendant la révolution. Heureusement, une idée lumineuse des autorités de l’époque leur fit prendre conscience que l’enceinte fortifiée pouvait être utile comme caserne et poudrière …). Accompagné par le chef de la Garde d’Honneur, Peter Deurbroucq, grand négociant nantais, il lui pose une foule de questions auxquelles l’homme est parfois bien en peine de pouvoir répondre. Il parcourt ensuite les quais de Loire, notant qu’ils sont mal entretenus, le quartier du Bouffay et sa prison insalubre, puis s’arrête devant le bâtiment inachevé de la Bourse, le théâtre Graslin détruit pendant la révolution, le port, etc…
De son côté, Joséphine, après avoir visité les hôpitaux, reçoit des familles (mères et filles) ayant perdus leurs biens dans la tourmente révolutionnaire et la révolte de l’île de Saint-Domingue. La Créole Impériale ne pouvant rester insensible à ces malheurs.
Le soir, toute la ville est illuminée et pavoisée de fleurs, de drapeaux, d’inscription à la gloire de l’Empereur. Des spectacles gratuits sont donnés dans les théâtres de la ville. On chante et on danse dans les rues.
La journée du 10 août est consacrée à la descente de l’estuaire, « voyage d’étude » jusqu’à Paimboeuf. Napoléon tient à se rendre compte de ce qui peut être fait pour les besoins économiques mais aussi stratégiques de la région. Il monte à bord d’une magnifique embarcation et visite successivement l’arsenal d’Indret, où sont forés les canons, le chantier naval des frères Crucy à Basse-Indre, qui livrent à l’Etat des goélettes, des bricks, des cotres utilisés pour la course. Arrivé à Paimboeuf, il vient se rendre compte de l’avancement d’une frégate en construction, la célèbre Méduse.
Paimboeuf, avant-port de Nantes (les gros navires ne peuvent remonter jusqu’à Nantes et les cargaisons y sont déchargées là dans des gabares qui remontent le fleuve), a toujours été négligé, et ses quais sont mal entretenus. Etait-il préférable de relever le port ou de construire un port secondaire à Saint-Nazaire, alors petit village de pêcheurs ? Le maire de Nantes et les ingénieurs ont préparé un projet de construction de ce nouveau port, mieux abrité contre l’ensablement que Paimboeuf et dont le coût des travaux serait sensiblement similaire. L’Empereur, convaincu, commande aussitôt un mémoire sur le sujet auquel il attache une haute importance.
L’impératrice, elle, est restée dans ses appartements, apparemment indisposée par l’abus de homards du repas de la veille…
Le soir, la ville est encore en fête ; un feu d’artifice est tiré, des illuminations sont préparées sur les cours qui bordent l’Hôtel d’Aux. Napoléon et Joséphine assistent ensuite au grand bal organisé par la ville dans le cirque du Chapeau-Rouge, qui réunit « les fonctionnaires publics de toutes les classes, les gardes d’honneur, l’élite des habitants de Nantes et un assez grand nombre de femmes de la meilleure société ».
Le lendemain, 11 août, Napoléon reçoit les membres du Corps Législatif du département, une députation de la Cour d’Appel de Rennes, le maire, le corps municipal et la garde d’honneur de cette ville. L’Empereur, préoccupé par les affaires d’Espagne, a décidé en effet d’écourter son voyage en province et, pressé de rentrer à Paris, a supprimé Rennes de son itinéraire.
Le couple Impérial quitte Nantes dans la journée, les mêmes honneurs civils et militaires, la même ferveur populaire que celle rencontrée à son arrivée, accompagnent le départ du cortège. Napoléon et Joséphine rentrent à Paris en longeant la Loire et s’arrêtent brièvement à Ancenis, au château de Serrant et Angers, puis à Tours. Ils arrivent le 14 dans l’après-midi à Saint-Cloud.
Le maire, satisfait de la visite, fait afficher la proclamation suivante :
« Nantais,
Vous avez honoré la nation bretonne ; vous avez célébré dignement le séjour de votre Empereur. Son cœur a pris part à vos fêtes, il a apprécié la sincérité de vos hommages. (…) Nantais, Napoléon le Grand me charge de vous dire qu’il est content de sa bonne ville de Nantes, qu’il est sensible à l’accueil qu’il a reçu. De nombreux bienfaits sont promis à votre cité. Plusieurs de vos concitoyens ont reçu des preuves de la munificence et de la bonté de Leurs Majestés impériales et royales ; vos magistrats sont honorés de leurs dons ; de fortes sommes sont accordées à la classe indigente ; d’autres plus considérables, à l’industrie malheureuse ; d’autres à vos établissements de secours publics. (…) »
Mais pour la ville la note est salée. Le budget initialement prévu de 60.000 francs a été largement dépassé, atteignant plus de 100.000 francs. Chiffre élevé qui représente des sacrifices mais que beaucoup d’avantages futurs vont compenser. L’investissement se révèlera payant. Avant de quitter Nantes, Napoléon a signé le décret autorisant la ville à engager la plupart des travaux demandés. Il est incontestable que sa visite a donné de l’élan à des travaux en souffrance et qui auraient pu le rester encore longtemps.
Les travaux d’achèvement de l’Hôtel de Ville seront poursuivis.
Le bâtiment de la Bourse va être achevé (pour moitié aux frais de l’Etat).
La salle de spectacle brûlée pendant la révolution sera reconstruite.
Un pont sera construit sur l’Erdre.
Des fontaines seront construites.
Le séminaire diocésain sera construit avec une aide importante du ministère des cultes.
Le Théâtre Graslin sera achevé.
Les premiers coups de pioches sont donnés pour l’ouverture du canal de Nantes à Brest
Les quais du port seront alignés.
Et d’autres empreintes futures : le musée des Beaux-Arts, l’école de Médecine, le canal de la Martinière, marqueront encore la visite de Napoléon. De nombreux chantiers ne seront achevés que sous la Restauration.
Mais l’amour des nantais envers l’Empereur va s’amenuiser. La guerre qui se prolonge devient de plus en plus coûteuse et lourde à supporter. Dérive autocratique du régime, lassitude de la population, et Napoléon ne pourra rien pour relever le commerce défaillant, le blocus continental étant devenu plus rigide. La politique nationale n’était pas une politique nantaise. La levée des conscrits et des Gardes Nationaux rencontrera une résistance extrême. La conscription est devenue insupportable et les déserteurs sont légion. Les rangs des mécontents, ouvriers sans travail, négociants ruinés, ne cesseront de grossir et la fidèle ville de Nantes accueillera avec soulagement la fin de l’Empire et le retour des Bourbons « libérateurs ».
Bibliographie
Louis Villat, Napoléon à Nantes, revue des études napoléoniennes, juillet-décembre 1912 (consultable sur Gallica)
Armel de Wismes, Nantes et le pays nantais , Editions France Empire, 1995
Nantes passion, été 2008, n°186, pages 26 à 28
Ouest-France, samedi 20 septembre 2008
9, 10 et 11 août 1808
- 3 journées qui changèrent la ville -
À l'occasion des journées du patrimoine, nous avons pu, à Nantes, commémorer le bicentenaire de la visite de Napoléon. Cette visite a eu un impact direct sur le ville puisque de nombreux édifices datent de cette période et doivent leur réalisation à la visite impériale. Ce sera la seule visite que l'Empereur fera en Bretagne (qui a dit que Nantes n'est pas en Bretagne?...), et l'occasion de vous livrer ici un petit travail de recherche et compilation historique...
Bonne lecture.
********************
À la fin de l’année 1807, les rumeurs d’une visite de l’Empereur à Nantes, parviennent au préfet de Loire-Inférieure, M. de Celles. Ces nouvelles se précisent au début de l’année 1808, suffisamment pour que des volontaires, jeunes hommes républicains côtoyant d’anciens royalistes et grands bourgeois, se présentent spontanément pour former une Garde d’Honneur qui accompagnera l’Empereur. Le 28 mai suivant, Fouché, ministre de la police informe le préfet de la venue probable de l’Empereur, afin que des mesures de sécurité draconiennes soient établies. Mais l’opposition reste marginale, car l’avènement de Napoléon Bonaparte et le Concordat ont mis un terme aux guerres civiles de l’Ouest. Même si la chouannerie en Loire-Inférieure n’est pas morte, (les réfractaires à la conscription qui tiennent tête aux gendarmes, groupés en bandes organisées, sont chaque jours plus nombreux), les revendications des Nantais portent surtout sur le terrain économique.
Cette visite répond à plusieurs objectifs. L’Empereur souhaite se rendre compte en personne de la situation dans les anciennes régions insurgées. L’unité nationale doit être la preuve de la réconciliation entre les anciens camps antagonistes. Il souhaite également relancer l’économie d’une ville qui a perdu de son aura du siècle précédent. Enfin, Nantes est un pion essentiel du dispositif de blocus de l’Angleterre.
Depuis la fin de XVIIIème siècle et la révolution, Nantes, qui avait dû sa prospérité au commerce avec les « îles » et au trafic du « bois d’ébène », a vu considérablement décliner ses activités lucratives. La visite de l’Empereur incarne donc un espoir de relance de l’économie et de reconstruction de la cité. La crise paraissait profonde et irrémédiable, le commerce extérieur se réduisant à presque rien, mais l’Empereur s’apprêtait à demander aux Nantais encore plus d’efforts. Poursuivant la lutte implacable contre l’Angleterre par le blocus, il est indispensable que les vaisseaux anglais ne puissent aborder les côtes de l’Europe. Le port de Nantes sera chargé de surveiller les rives de la Bretagne et de la Vendée, ce qui n’arrangera pas le commerce local.
C’est donc une visite très politique qui est programmée.
Fouché confirmera le 25 juillet la visite de l’Empereur : ce sera les 9, 10 et 11 août 1808, et demande au préfet de « préparer les esprits ». La municipalité débloque alors un budget important : 60.000 francs pour réaliser les aménagements nécessaires à la visite impériale. Les artiste locaux sont mis à contribution pour élever des monuments célébrant la venue de l’Empereur et « présenter les objets les plus durables pouvant perpétuer le plus longtemps le souvenir du bonheur des Nantais ».
Au terme d’un séjour de trois mois en province, où il s’est arrêté, entre autre, à Bayonne, Toulouse ou Bordeaux, l’Empereur a prévu de finir son périple par la Bretagne. Quittant la Vendée où il vient de visiter sa ville nouvelle, Napoléon, il est de mauvaise humeur. Les travaux d’avancement de la ville ont pris du retard, il en a marqué aux architectes consternés, son vif mécontentement. De plus, les nouvelles qui arrivent d’Espagne ne sont pas bonnes. La défaite de Bailén, qu’il a apprise alors qu’il était à Bordeaux, résonne durement aux oreilles de l’Empereur. « Depuis que le monde existe, il n’y a rien eu de si inepte, de si lâche ! » s’écrit-il. Il a donné l’ordre d’arrêter le général Dupond de l’Etang à son retour.
Et comme toujours, acharné de travail, il dort peu, voyage de nuit, veut tout voir et tout contrôler.
Nantes, la prochaine étape s’est préparée à la venue du cortège impérial qui arrive en force. Le couple impérial est attendu avec impatience avec son impedimenta, l’archevèque de Malines (son aumônier), Talleyrand, Duroc, le ministre de la Marine, les généraux Bertrand et Lebrun, le préfet du palais, les dames d’honneur de Joséphine, etc…. En tout treize voitures composent le cortège impérial.
Le 8 août est une journée d’attente. Une foule immense se porte sur les routes par où doit arriver l’Empereur. La nuit tombe et malgré la pluie, l’enthousiasme populaire ne diminue pas. Parti de 3 heures de l’après midi de Napoléon, le cortège impérial arrive à la limite de la Loire-Inférieure vers une heure et y trouve le préfet avec un détachement de la Gendarmerie Impériale et de la Garde d’Honneur, venus à sa rencontre. L’Empereur monte dans une voiture plus rapide et repart sans tarder.
Le cortège arrive en pleine nuit par le sud, à Pont Rousseau où l’on a fait bâtir un arc de triomphe de douze mètres de haut et onze de large, orné d’allégories et d’inscriptions à la gloire de l’Empereur (« l’Arbitre, le Héros, le Bienfaiteur du monde, le Pacificateur de l’Ouest »). Dans le centre ville, place Impériale (actuelle place Royale), un obélisque de 18 mètres de haut se dresse avec en son sommet un aigle aux ailes déployées. Sur les faces, des inscriptions en vers dont la banalité n’a d’égal que la flagornerie : A peine au printemps de sa vie, il surpasse César en magnanimité, Alexandre en grandeur, Hannibal en génie, Charlemagne en activité.
Place Graslin, s’élève un monument baptisé « Temple des Muses », un buste colossal de Napoléon entouré de 9 muses, avec des inscriptions de la même veine vouant à la reconnaissance des siècles à venir « le plus grand des héros ».
Mais ces divers motifs qui coûtèrent à eux seuls 20.000 francs, ne font pas perdre de vue au Conseil Municipal, les intérêts de la ville. Un document très précis avec les besoins de la cité est préparé pour être mis sous les yeux de l’Empereur. Tout est passé en revue, établissements municipaux, travaux publics, hospices, quais, fontaines, ponts, approfondissement de la Loire, etc… L’exposé des principaux besoins de la commune ainsi que d’autres questions importantes ne manqueront pas d’être soumis à l’Empereur.
Le carrosse impérial tiré par huit chevaux arrive enfin, annoncé par une salve de canons. Il est deux heures trente du matin.
Le maire de la ville, Bertrand-Geslin, accompagné du corps municipal, de la Garde d’Honneur (263 volontaires à cheval, des « personnes dont le dévouement pour Sa Majesté est sans borne ») et d’un détachement de la Garde Nationale, sont là pour l’accueillir. « Les Bretons n’ont pas perdu la loyauté ni la noble franchise de leurs ancêtres. Ils brûlent de donner à votre Majesté des preuves de leur dévouement… »
On remet à l’Empereur les clés de la ville sur un plat d’argent. « Elles sont en de bonnes mains » répond-il en les rendant aussitôt, ne souhaitant pas s’attarder, et monte avec l’Impératrice Joséphine dans un magnifique carrosse que la municipalité a construit pour lui. Lentement le cortège s’avance à travers la foule qui s’accroît de minute en minute et pousse sans discontinuer les cris de : « Vive l’Empereur ! ».
On conduit les hôtes à l’Hôtel d’Aux, où le couple impérial loge dans les appartements du préfet, au second étage. Napoléon et Joséphine sont reçus dans le grand salon par le général Dufour commandant la place, le préfet et le maire. Mais l’Empereur, préoccupé, mène rapidement la réception et se retire dans ses appartements à la porte desquels, Roustan, son fidèle mameluk se met à veiller.
Ce sont évidemment les malheureuses affaires d’Espagne qui l’accaparent tout entier. Il vient de recevoir un rapport circonstancié de la capitulation d’Andujar. Tremblant d’émotion et de colère, l’Empereur travaille toute la nuit, dictant à son secrétaire d’Etat Maret, la relation qui doit être insérer dans le Moniteur. Il déplore dans une lettre au général Clarke, ministre de la Guerre, « cette perte de 20000 hommes d’élite et choisis, qui viennent à manquer, sans même avoir fait éprouver à l’ennemi aucune perte considérable » et surtout « l’influence morale que nécessairement cela doit avoir sur cette Nation ».
Quand il songe à prendre un peu de repos, le soleil est déjà levé depuis longtemps, et la foule attend sur la grand place devant l’Hôtel (actuelle place Foch), la sortie du couple impérial. Le lieu ne désemplit pas. On vient acclamer comme il se doit le pacificateur de la région.
Dans la matinée, l’Empereur se fait présenter les autorités publiques. Les discours sont brefs, comme Napoléon les aime, et le maire soumet sans tarder la délibération relative aux besoins de la ville et aux améliorations projetées pour sa prospérité, son embellissement et sa salubrité.
L’Empereur interroge, veut tout savoir, rien de ce qui est nantais ne doit lui rester inconnu. Il s’informe du prix des terres dans le département, des la levée de l’impôt et de sa répartition, veut savoir quel est l’effet produit en Bretagne par le nouveau code du commerce. Il vante les mérites de la culture de la betterave à sucre, promise, selon lui à un brillant avenir. Avec les ingénieurs, il s’entretient du canal de Nantes à Brest et évoque le creusement d’un canal maritime parallèle à la Loire (le futur canal de la Martinière).
À six heures du soir, il décide de parcourir les principaux quartiers de la ville.
Un peloton de la Garde d’Honneur ouvre la marche devant l’Empereur, vêtu d’un uniforme vert de Colonel des Chasseurs à cheval de la Garde et chevauchant un cheval gris-pommelé de petite taille. Il fait une première halte au lycée Impérial (actuel lycée Clemenceau) qui a ouvert ses portes en avril. Les élèves en uniforme bleu foncé sont rangés en bataille dans la cour. Dévisageant chacun comme il sait si bien le faire, il se fait présenter les meilleurs éléments qui intègreront l’école Militaire ou l’école Polytechnique. Il entreprend de visiter ensuite les dortoirs et les classes, et la visite s’éternisant, les grenadiers de la Vieille Garde chargés de sa sécurité s’impatientent, s’inquiètent du temps passé par l’Empereur à cette visite hors protocole. L’un d’entre eux prend sur lui de partir à sa recherche dans les couloirs du lycée… « Où est l’Empereur ? », sa voix traverse le bâtiment, mais voyant Napoléon toujours bien entouré et que la situation n’a rien d’anormal, le vieux briscard s’en retourne auprès de son détachement…
Alors qu’il quittait une classe, une femme vêtue en noir vient se jeter aux pieds de l’Empereur en l’implorant. Ses deux fils sont élèves au lycée. Il s’agit de l’épouse du Général Gaspard Normand, mis en prison depuis 1804 pour sa participation au complot du général Moreau, et qui demande la libération de son mari. Napoléon acceptera sa demande ; Normand sera réintégré dans l’armée (mais mourra plus tard en Russie…).
Il se rend ensuite au château, qu’il visite rapidement (il avait failli être détruit pendant la révolution. Heureusement, une idée lumineuse des autorités de l’époque leur fit prendre conscience que l’enceinte fortifiée pouvait être utile comme caserne et poudrière …). Accompagné par le chef de la Garde d’Honneur, Peter Deurbroucq, grand négociant nantais, il lui pose une foule de questions auxquelles l’homme est parfois bien en peine de pouvoir répondre. Il parcourt ensuite les quais de Loire, notant qu’ils sont mal entretenus, le quartier du Bouffay et sa prison insalubre, puis s’arrête devant le bâtiment inachevé de la Bourse, le théâtre Graslin détruit pendant la révolution, le port, etc…
De son côté, Joséphine, après avoir visité les hôpitaux, reçoit des familles (mères et filles) ayant perdus leurs biens dans la tourmente révolutionnaire et la révolte de l’île de Saint-Domingue. La Créole Impériale ne pouvant rester insensible à ces malheurs.
Le soir, toute la ville est illuminée et pavoisée de fleurs, de drapeaux, d’inscription à la gloire de l’Empereur. Des spectacles gratuits sont donnés dans les théâtres de la ville. On chante et on danse dans les rues.
La journée du 10 août est consacrée à la descente de l’estuaire, « voyage d’étude » jusqu’à Paimboeuf. Napoléon tient à se rendre compte de ce qui peut être fait pour les besoins économiques mais aussi stratégiques de la région. Il monte à bord d’une magnifique embarcation et visite successivement l’arsenal d’Indret, où sont forés les canons, le chantier naval des frères Crucy à Basse-Indre, qui livrent à l’Etat des goélettes, des bricks, des cotres utilisés pour la course. Arrivé à Paimboeuf, il vient se rendre compte de l’avancement d’une frégate en construction, la célèbre Méduse.
Paimboeuf, avant-port de Nantes (les gros navires ne peuvent remonter jusqu’à Nantes et les cargaisons y sont déchargées là dans des gabares qui remontent le fleuve), a toujours été négligé, et ses quais sont mal entretenus. Etait-il préférable de relever le port ou de construire un port secondaire à Saint-Nazaire, alors petit village de pêcheurs ? Le maire de Nantes et les ingénieurs ont préparé un projet de construction de ce nouveau port, mieux abrité contre l’ensablement que Paimboeuf et dont le coût des travaux serait sensiblement similaire. L’Empereur, convaincu, commande aussitôt un mémoire sur le sujet auquel il attache une haute importance.
L’impératrice, elle, est restée dans ses appartements, apparemment indisposée par l’abus de homards du repas de la veille…
Le soir, la ville est encore en fête ; un feu d’artifice est tiré, des illuminations sont préparées sur les cours qui bordent l’Hôtel d’Aux. Napoléon et Joséphine assistent ensuite au grand bal organisé par la ville dans le cirque du Chapeau-Rouge, qui réunit « les fonctionnaires publics de toutes les classes, les gardes d’honneur, l’élite des habitants de Nantes et un assez grand nombre de femmes de la meilleure société ».
Le lendemain, 11 août, Napoléon reçoit les membres du Corps Législatif du département, une députation de la Cour d’Appel de Rennes, le maire, le corps municipal et la garde d’honneur de cette ville. L’Empereur, préoccupé par les affaires d’Espagne, a décidé en effet d’écourter son voyage en province et, pressé de rentrer à Paris, a supprimé Rennes de son itinéraire.
Le couple Impérial quitte Nantes dans la journée, les mêmes honneurs civils et militaires, la même ferveur populaire que celle rencontrée à son arrivée, accompagnent le départ du cortège. Napoléon et Joséphine rentrent à Paris en longeant la Loire et s’arrêtent brièvement à Ancenis, au château de Serrant et Angers, puis à Tours. Ils arrivent le 14 dans l’après-midi à Saint-Cloud.
Le maire, satisfait de la visite, fait afficher la proclamation suivante :
« Nantais,
Vous avez honoré la nation bretonne ; vous avez célébré dignement le séjour de votre Empereur. Son cœur a pris part à vos fêtes, il a apprécié la sincérité de vos hommages. (…) Nantais, Napoléon le Grand me charge de vous dire qu’il est content de sa bonne ville de Nantes, qu’il est sensible à l’accueil qu’il a reçu. De nombreux bienfaits sont promis à votre cité. Plusieurs de vos concitoyens ont reçu des preuves de la munificence et de la bonté de Leurs Majestés impériales et royales ; vos magistrats sont honorés de leurs dons ; de fortes sommes sont accordées à la classe indigente ; d’autres plus considérables, à l’industrie malheureuse ; d’autres à vos établissements de secours publics. (…) »
Mais pour la ville la note est salée. Le budget initialement prévu de 60.000 francs a été largement dépassé, atteignant plus de 100.000 francs. Chiffre élevé qui représente des sacrifices mais que beaucoup d’avantages futurs vont compenser. L’investissement se révèlera payant. Avant de quitter Nantes, Napoléon a signé le décret autorisant la ville à engager la plupart des travaux demandés. Il est incontestable que sa visite a donné de l’élan à des travaux en souffrance et qui auraient pu le rester encore longtemps.
Les travaux d’achèvement de l’Hôtel de Ville seront poursuivis.
Le bâtiment de la Bourse va être achevé (pour moitié aux frais de l’Etat).
La salle de spectacle brûlée pendant la révolution sera reconstruite.
Un pont sera construit sur l’Erdre.
Des fontaines seront construites.
Le séminaire diocésain sera construit avec une aide importante du ministère des cultes.
Le Théâtre Graslin sera achevé.
Les premiers coups de pioches sont donnés pour l’ouverture du canal de Nantes à Brest
Les quais du port seront alignés.
Et d’autres empreintes futures : le musée des Beaux-Arts, l’école de Médecine, le canal de la Martinière, marqueront encore la visite de Napoléon. De nombreux chantiers ne seront achevés que sous la Restauration.
Mais l’amour des nantais envers l’Empereur va s’amenuiser. La guerre qui se prolonge devient de plus en plus coûteuse et lourde à supporter. Dérive autocratique du régime, lassitude de la population, et Napoléon ne pourra rien pour relever le commerce défaillant, le blocus continental étant devenu plus rigide. La politique nationale n’était pas une politique nantaise. La levée des conscrits et des Gardes Nationaux rencontrera une résistance extrême. La conscription est devenue insupportable et les déserteurs sont légion. Les rangs des mécontents, ouvriers sans travail, négociants ruinés, ne cesseront de grossir et la fidèle ville de Nantes accueillera avec soulagement la fin de l’Empire et le retour des Bourbons « libérateurs ».
Bibliographie
Louis Villat, Napoléon à Nantes, revue des études napoléoniennes, juillet-décembre 1912 (consultable sur Gallica)
Armel de Wismes, Nantes et le pays nantais , Editions France Empire, 1995
Nantes passion, été 2008, n°186, pages 26 à 28
Ouest-France, samedi 20 septembre 2008