par kortchnoï » Mer Avr 21, 2010 1:28 pm
6 semaines !
6 semaines que Kortchnoï attendait ce moment là.
6 semaines à pousser et tirer ces maudits canons dont le seul but était visiblement de se bloquer dans la neige.
Il y avait aussi les hommes qui grognaient trop fort et les chevaux qui fatiguaient trop vite. impossible d'avancer plus rapidement.
Longtemps il avait regretté sa bonne vieille compagnie de cuirassiers.
Quelques semaines auparavant, sur le front du fortin sud, après une seconde contre attaque victorieuse menée avec ses frères de l'AT et devant un front qui n'évoluait pas, il s'était entretenu avec Vorontsof son fidèle adjudant, avec lequel il avait partagé tant de combat, de peine et de gloire, qu'il le considérait un peu comme son fils.
"Dit moi Vorontsof, j'ai entendu dire que des canons sont disponibles."
L'adjudant que la guerre avait rendu plus méfiant qu'une taupe et plus rusé qu'un renard et qui par dessus tout aurait échangé sa compagnie de ligne pour rien au monde, répondit par un :
"grrrrphh" et quelques mots inintelligibles que kortchnoï interpréta immédiatement comme une forme de refus.
Il décida alors d'en parler avec les autres officiers de son régiment.
"des canons ! pffffffff même ma cousine n'en voudrait pas pour faire la guerre""
"des canons ! pfffffff c'est bien trop fragile"
"des canons ! pffffffff ça ne bouge pas, tu n'es plus un soldat mais un proie"
"des canons ! pffffff..........."
Devant autant d'avis négatifs il s'accorda quelques jours de réflexion.
Mais l'envie, d'essayer ces nouvelles armes, était trop forte. Il fallait qu'il sache et apprenne par lui même, ce que valaient ces unités sur un champ de bataille.
Alors son long chemin de croix commença. les canons étaient loin, très loin du front, là où se trouvait le fort. le front et le fort étaient fort fort lointains. La neige ne cessait de tomber, le froid glaçait à tel point l'acier des canons que plusieurs hommes y avaient laissé la peau des mains. Aprés des semaines d'efforts, le fort sud fut enfin en vue.
La joie des hommes fut de courte durée, les Français avaient disparu.
Korchnoï décida alors de prendre la route de Polotsk.
Ils croisait régulièrement des unités qui se reposaient avant de remonter au front. le front ?
"oui oui c'est là, à quelques verstes à l'Ouest", lui répondait on invariablement.
2 ou 3 fois il vit quelques unités françaises. il mit immédiatement ses canons en batterie mais dés que ceux-ci étaient prêt à tirer les forces napoléoniennes avaient disparu.
"Ils reculent plus vite que ce que j'avance" se dit Kortchnoï
Il entra dans Polotsk en arrière garde de l'AT.
enfin il sentait qu'il arrivait au front.
Il passa le lundi 19 avril à attendre qu'une place se libère afin d'approcher des Français sans laisser ses canons à découvert.
Mardi 20 il trouva une maison partiellement en ruine mais qui apportait une couverture suffisante à ses hommes. il s'y installa. L'ennemie était à portée.
Autour de lui les Baggovouts, les Pavlovs et quelques éléments de l'AT combattaient avec acharnement les forces Bonapartistes qui avaient visiblement cessé de fuir. C'est au corps à corps que les pâtés de maison se prenaient. Ça empestait le sang et la poudre.
Kortchnoï repéra un regroupement de force française en limite de portée de ses canons. Malheureusement une unités des Pavlovs se battait avec eux. il fallait qu'elle recule afin que Kortchnoï puisse tirer sans risque de toucher un ami. Dans la soirée il envoya une estafette demander à Ksy s'il lui était possible de reculer un peu.
La réponse n'arriva que mercredi matin. Ksy avait bougé. les Français aussi et un autre Pavlov avait pris la place libérée.
Kortchnoï se dit que décidément il était maudit depuis qu'il avait ses maudits canons. Avant d'aller inspecter sa compagnie il fit un dernier tour d'horizon à l'aide de sa longue vue, cadeau de son père quand il était parti pour l'École d'officier.
subitement tout son corps se figea. Là, juste là, au sud ouest, à portée un rassemblement de 4 unités françaises. Enfin la chance semblait vouloir lui sourire. Immédiatement les hommes réorientèrent les canons. quelques minutes seulement mais Kortchnoï craignait que les Français ne bougent.
Il fallait qu'il voit ça. il monta sur une tas de pierres formé par l'éboulement d'une partie de la maison. La vue était impeccable. il n'entendait plus le fracas de la bataille, les forces du Corse n'avaient pas bougé. Ses hommes n'attendaient plus qu'un mot. Kortchnoï, le corps tendu, l'œil vissé à sa lunette, l'esprit verrouillé sur son objectif eut l'impression de chuchoter. Ses hommes l'entendirent hurler :
"FEU".
Les bouches crachèrent le feu, les hommes avaient fait du bon travail, partout des hommes tombaient, les 4 compagnies avaient subi des pertes.
Kortchnoï était fier de ses hommes. il leur offrit un tonneau de vodka.
Après tant de souffrances et de galères ils le méritaient bien.
Il alla s'assoir dans un vieux fauteuil défoncé, bourra sa pipe, l'alluma et réfléchit. Il était un peu dans le même état que lorsque pour ses 16 ans, son père l'avait emmené dans un bordel de Novgorod, la ville de son enfance.
cette ville où il aimait tant aller à la pêche sur les rives de la Volkhov. Oui dans le même état, serein et excité en même temps mais surtout très fier. Puis lui revinrent les souvenirs de ses 6 derniéres semaines.
"Tout ça pour ça. Le jeu en vaut il la chandelle ?" se demanda-t-il.
il se leva, alla chercher une bouteille de cognac que les Français avaient oublié lors de leur retraite, bu directement au goulot et se promis d'y réfléchir.