par vétéran Roman Récit » Ven Jan 01, 2010 5:04 pm
Roman était tranquille sous le soleil froid du tout jeune hiver russe. Il portait son uniforme assez simple de sous-officier des grenadiers de Pavlov, qu'il n'avait jamais échangé pour aucun autre. Ses boucles s'échappaient de son chapeau (il ne portait sa mitre qu'au combat, et aujourd'hui n'était pas un jour de combat) et certaines retombaient jusque sur les parement rouge et jaune paille de son col. Il ne neigeait pas, ce qui dégageait la vue sur la plaine devant lui. Il admira les forces françaises, rangées sur plusieurs lignes à la suite. Aucun scintillement métallique ne dépassait de ces masses ; les armes avaient été déposées en faisceau quelques mètres devant le front des compagnies. L'habituelle nuée de voltigeurs séparant les deux armée n'était pas déployé, et ces soldats étaient rangés comme les autres au garde-à-vous. La matinée du 21 décembre promettait d'être belle sous toutes les coutures.
Avec les quelques chasseurs à cheval composant son escorte, il avança le long des lignes russes pour rejoindre un groupement d'officier haut-gradés. Parmi eux, il reconnu la tête blanche de de Castillon. Ce bon vieux camarade prenait toujours le même soin relatif pour sa coiffure ! Il remarqua aussi la tête chapeautée du plus malade de tous les majors de l'armée russe, et de loin le plus grand buveur qu'on y ait jamais vu. La dernière fois qu'un aide-de-camp de Roman l'avait vu la veille, Rouskoff venait de se descendre un plein tonneau de vodka, et maintenant, quelques heures plus tard, il ne donnait même pas l'impression d'avoir la gueule de bois. Le sacré bonhomme tenait toujours aussi bien l'alcool que tous les autres officier baggovout réunis (mis à part Argna) !
Il rejoignit donc au pas le groupe d'officiers supérieurs qui s'entretenaient. Le bruit qu'une trêve de Noël se préparait avait couru à travers l'armée russe comme une traînée de poudre. Certains des cuirassiers des Baggovouts avaient trop bu, et la rumeur était partie d'elle même. Des officier curieux étaient venu de tous les régiments, comme Roman lui-même. Certains contemplaient avec étonnement les masses françaises immobiles. On entendait toute sorte de murmures. Quelques cosaques et opoltchènes discutaient avec leurs franc-parler respectifs :
On peut pas avoir confiance, j'vous dit ! Ces fils de gueuses amateurs de vin bouchonnés vont nous faire un sale coup. Qu'est-ce-qui nous dit que ces files d'infanteries cachent pas une grande batterie prête à nous tirer d'sus à mitraille et boulets rouges dès qu'on s'approchera ?
Pour sur, argumentait l'un des opoltchènes, c'est r'en qu'des lâches qu'y faudrait qu'les vers bouffent pour leur faire comprendre qu'quand on est lâche dans not' vie, et ben on souffre au paradis. C'est Noël pour aux, s'rait p'têt temps qu'y sen rendent compte !
Roman passa au milieu des uniformes chamarrés et cirés sans accorder à ceux-là plus d'importance qu'à certains officier de la garde, trop occupés à réfléchir entre eux afin de déterminer si le Tsar accepterait un trêve de Noël et s'il était donc politiquement utile de jouer un rôle lors des négociations. Il atteignit enfin le carré de cuirassiers qui protégeait les commandants des baggovouts des discussions séniles des présents, et apostropha une maréchal-des-logis chef afin que celui-ci le laisse entrer.
Désolé mon capitaine, je peut pas, les officiers y veulent voir personne, ils attendent les français, vous savez. Y paraît que tout le monde s'rait prêt à faire une trêve. Mais en attendant, ils ont demandé qu'on les dérange pas, quand bien même le Tsar en personne viendrait les voir avec la Tsarine, la cour et tout le Hautem...
Roman fixa ses yeux dans ceux du cuirassier, qui lui rendit un regard vide de bon soldat obéissant aux ordres. Il ne voulu pas forcer un soldat qui, à en juger sa collection de médailles, méritait de commander un régiment de cavalerie ni lui attirer des ennuis. Il engagea donc la conversation en espérant qu'un des officiers qu'il connaissait dans le carré de cavaliers l'entendrait ou le verrait et lui "ouvrirait la porte"...
Le Hautem ? Qu'est-ce-que c'est que ça ? Une nouvelle réunion de Cosaques ?
Non Monsieur, répondit le maréchal-des-logis chef, c'est le Haut Etat Major, bien sur !
Ah, je vois... Et dites moi camarade, vous pensez qu'on peut en faire une, de trêve ? ...