En arrière du front, sur une grande place pavée au centre d'une ville...
- Un, deux, un, deux, un, deux, un, deux, un, deux, un...
La voix grave du Sergent-Major retentissait, chaque marquage de pas, "un" pour le talon gauche, "deux" pour le talon droit, exprimé régulièrement, à chaque demi-seconde: le pas régulier. Il donnait chaque paire une dizaine de fois, puis laissait un moment sa section marcher seule, surveillant la régularité des pas et du rythme du groupe.
Il n'était pas le seul sous-officier à commander une section, ce jour-là. La plupart des sections d'infanterie comptaient une vingtaine d'hommes, qui défilaient en rectangles de quatre colonnes sur cinq lignes, le chef de section à deux mètres sur la gauche, au deux tiers de la longueur de la section.
- Un, deux, un deux...à mon commandement...halte !
L'ordre était donné lorsque le talon droit tapait au sol: la section répondit magnifiquement, avançant le pied gauche, puis ramenant le pied droit contre, talons contre talons, les hommes comme au garde-à-vous.
- A mon commandement...couvrez les rangs !
Les hommes se réalignèrent sur "lhomme de base", le plus grand, placé sur la colonne de gauche, en première ligne: les hommes de la première ligne placèrent le poing gauche sur la hanche, le coude touchant le bras de l'homme à leur gauche; les hommes de la première colonne -la plus à gauche- tendirent le bras gauche pour toucher du bout des doigt l'épaule de l'homme devant eux. Les hommes n'étant ni de la première ligne ni de la première colonne purent alors s'aligner, sur le placement de l'homme devant eux et de celui à leur gauche.
- Fixe !
Les bras retombèrent, au garde-à-vous.
- A gauche...gauche !
Au "à gauche", les hommes levèrent la pointe du pied gauche et le talon droit. Au "gauche", ils pivotèrent simplement vers la gauche, restant en appui sur le talon gauche et la pointe droite, et ramenèrent le talon droit contre le talon gauche, reposant les pointes des pieds.
- A mon commandement...repos !
Les fusils, crosse tenue dans la main droite, canon appuyé dos contre l'épaule droite, retombèrent crosse au sol; puis les talons droits s'écartèrent des pieds gauches, sans que ceux-ci ne bougent; enfin, la main droite tenant le canon du fusil au niveau de la taille du porteur, les mains gauches passèrent dans le dos, poing fermé.
Le sous-officier quitta alors sa position, inspectant sa section. Il hocha finalement la tête, satisfait, et se tourna vers les trois officiers qui les regardaient
- Parfait, Sergent-Major. Votre groupe est bon. Allez répéter les manœuvres de "portez" et "présentez armes".
L'homme hocha la tête, reprit sa place aux côtés de la section: "Garde-à-vous !", "A droite...droite !" et "En avant...marche !" firent partirent la section, le pas à nouveau rythmé par la voix grave.
Les trois officiers s'entreregardèrent, assez satisfaits, mais au bord de l'ulcère, avec ce qui leur pendait au nez. Le Sous-lieutenant Jean de La Vallière, arrivé en Russie voici deux mois, regarda le Capitaine Adjudant-major Guérec, un dur alsacien présent entré depuis plusieurs années dans la Grande Armée.
- Cela vous convient, mon Capitaine ?
- Bien sûr. reste à avoir si ça ne merdera pas le "grand jour".
- Le pire à craindre, ce sont les chevaux: ils peuvent n'en faire qu'à leur tête, s'ils sont excités...
La dernière voix appartenait au Capitaine Lupus, qui se tourna vers la tribune qu'un groupe de sapeurs du Génie Impérial, débauchés pour l'occasion au Chef de Bataillon Alberich.
- Mon Capitaine, ils sont habitués aux champs de bataille...
- Guérec, même un animal à des émotions. Alors, des chevaux habitués au sang, comprenez que ça peut les choquer, une si belle formation militaire...
Le ton de Lupus était assez ironique sur cette dernière expression...
- Il faut pourtant remonter le moral de l'Armée du Rhin, mon Capitaine.
- Oui...mais ça fait quand même des troupes temporairement en moins contre les russes. C'est important, je sais, mais bon...
La Vallière haussa les épaules.
- Bah, ce n'est que temporaire, vous le dites vous-même. Et c'est l'occasion de changer les pensées des hommes.
- Un peu de "vaisselle à l'air" pour les officiers...
Les trois officiers se sourirent. La Vallière n'avait pas encore de décorations; Guérec faisait partie de la branche administrative, où l'on ne gagnait pas grand chose non plus; Lupus, un "vrai bougre", était un ancien soldat du rang qui ne se sentait pas vraiment officier malgré ses galons.
D'un commun accord silencieux, exprimé d'un regard, les trois officiers s'avancèrent vers la tribune, d'où s'élevaient les bruits de scie et de marteaux des hommes du Génie.
- L'évènement se veut fort...je suis heureux, messieurs, que vos supérieurs respectifs vous aient désignés pour nous aider à le préparer. S'ils peuvent se libérer, tout le gratin de la Grande Armée sera là pour la prise d'armes. Ainsi que leurs subalternes, attachés, ordonnances...et même ai-je cru comprendre, tout officier qui pourrait laisser ses hommes un moment seuls.
- Répétons tout ça, mon Capitaine, voulez-vous ?
- Bien sûr, Guérec. Donc...là, la tribune, où les invités seront assis le temps de la prise d'armes. Derrière, on mettra les tables du buffet et une estrade où les plus hauts gradés présents -De Sarthe, Juan, Winters- et les responsables de l'AdR -Tommy, Maëlys et Dorian- feront leur blablaterie. Les hommes viendront donc se placer par sections face à la tribune, l'artillerie sera déjà là. La cavalerie se placera en dernière: de la tribune, ça donnera, de gauche à droite: sections d'artillerie, sections d'infanterie, et sections de cavalerie. On fait tout le tintouin -la fanfare qu'on utilisera jouera les hymnes et marches, et l'officier qui sera finalement chargé du commandement donnera les ordres de porter et présenter les armes-; puis les sections déboîtent les unes après les autres, repartent loin vers la droite de la tribune, et repassent en droite ligne au plus près devant la tribune, de la droite vers la gauche, en s'étant réalignées et remises au pas. Les troupes s'éloignent, puis rompent les rangs, peinards: certains repartent au front ou au campement, les autres viennent manger avec les officiers. Et donc, les officiers invités vont derrière, boire un coup, manger un peu, et écouter les généraux s'ils sont là et les chefs de l'AdR.
Les deux autres hochèrent la tête.
- Bien entendu, ça demeure sujet aux modifications de dernière minute ?
- Évidemment, Guérec.
- Moi, j'ai une question plus pertinente, si vous me permettez: est-ce qu'il y a quelqu'un chargé de goûter le buffet, en cas d'empoisonnement par les russes ?
Les trois hommes éclatèrent de rire, puis d'un commun accord décidèrent de s’en aller une bouteille de "Rogomme", pendant que les dernières sections répétaient les gestes nécessaires...
- Portez...armes !
Au garde-à-vous, les hommes prirent leurs fusils crosses en main, comme avant de s'arrêter devant les officiers. Avec une arme en main, un déplacement en section s'effectuait toujours après avoir porter les armes, à cause du danger que représentaient notamment les baïonnettes des fusils et les pointes des sabres et des lances.
Reposez...armes ! ...présentez...armes !
Au "présentez armes", les hommes répétèrent les mêmes gestes que pour le porter, mais placèrent en plus la main gauche devant le canon, tout le bras et la main à plat: la version du salut lorsque l'on portait une arme en main...".
D'ici quelques jours, quelques centaines d'hommes de l'Armée du Rhin défileraient devant un ramassis d'officiers, pour la gloire de la Grande Armée.