Le Tueur de l'Armée

Racontez vos histoires autour d'un verre sous la tente...

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Le Tueur de l'Armée

Message par vétéran Kreminskaia » Mar Juil 12, 2011 5:53 pm

La pluie continuait à tomber sur le camp de la Division Romanov. Les nuages lourds et gris faisaient de cette partie de la steppe une terre morne, sans goût et sans saveur. La déprime gagnait les troupes. Les chemins se transformaient chaque jour un peu plus en mer de boue où les essieux des chariots s'enfonçaient, les chaussures disparaissaient et ce maelstrom fatiguait hommes et animaux.

Déjà, de plus en plus de rapports remontaient mentionnant des cas de désertions et, plus graves, des suspicions de suicides. Sentant le phénomène s'accentuer, Kreminskaia passait les consignes de l'aviser de tout cas suspect.
Et le premier cas ne tarda pas à se manifester. Le 15 octobre à 04H00 du matin, l'adjudant de permanence vint tirer Kreminskaia de son sommeil en lui secouant l'épaule.
« Monsieur ! Réveillez vous !! Monsieur !! »
« Dieu, la journée m'a l'air de mal commencer. Putain de pluie, putain de matériel, putain de pays. Qu'est ce qu'il me veut ce vieux Moujik avec sa tête triste à faire pleurer un clown », maugréa Kreminskaia en se levant lentement. Il regrettait sa vie d'avant, celle où il vivait heureux à Novgorod-la-Belle. Il réprima ses sentiments. Se souvenir des moments de joie et de paix lui faisait mal, il valait mieux les oublier ou du moins les laisser de côté.

Des frissons le parcouraient, il n'arrivait pas à se réchauffer, sa tente prenait le vent, le maigre tapis censé l'isoler du sol n'avait qu'un cheveu d'épaisseur et les trous rafistolés à la va-vite sur la toile de tente laissaient passer cette bourrasque glaciale.

Il finit par se lever sous les sollicitations de l'adjudant. Il mit son manteau, ferma les boutons de sa cape et enfila ses bottes.
« Que s'est il passé ? »
« Un accident Monsieur, un triste accident. Venez ... »
L'adjudant se retourna et suivit une direction éloignée des tentes du bataillon de la Rose Blanche. Kreminskaia avait du mal à le suivre, il fallait éviter les piquets des tentes, se repérer aux feux finissants des bivouacs et ne pas se tordre la cheville sur les immondices laissés dans les fossés que le vent, malignement, ramenait constamment sur les chemins. La boue rajoutait à la difficulté et c'est en sueur, les jambes tremblantes, le coeur battant la chamade que les deux hommes arrivèrent en vue d'un groupe de soldats faisant cercle.

Kreminskaia observa ces hommes. Emmitouflés dans des tissus rapiécés de toutes couleurs et de toutes matières, on ne voyait, dans le feu de leurs torches, que des yeux mi-clos et résignés.
A l'arrivée des deux soldats, le cercle des hommes s'ouvrit et au centre, se trouvait un corps allongé à même le sol.
Un des hommes présents pris la parole :
« Bonsoir, Officier, voici Vlassili KONOPATCHKY, mon camarade. Nous faisions partie de la même escouade au sein des milices levées il y a peu à Pskov. Le pauvre était abattu et ne cessait de réclamer sa famille, sa mère et ses soeurs. Son corps et son coeur n'étaient pas préparés à affronter nos dures conditions de combat et de vie. Vois Officer, il s'est tué cette nuit, après s'être éloigné de notre campement. Ce n'est pas le premier et ce ne sera pas le dernier. Que Dieu nous protège ! »

Le soldat allongé ne devait pas avoir plus de 18 ans. Son visage d'adolescent était d'une pâleur telle qu'il faisait tâche sur la pénombre ambiante. Ses yeux ouverts sur la nuit noire avaient déjà franchi le seuil de l'au-delà. Ses cheveux blonds parsemaient la boue environnante de filaments jaunes et une tâche de sang étoilait sa tête. Son fusil, au chien à l'abattu, était tombé le long du corps, le canon vers le crâne.

En se reculant, on pouvait voir dans la clarté des torches et les premières lueurs basses de l'aube une tâche claire au bas d'une jambe. Baissant le regard, on apercevait alors un pied blanc, nu, se découper sur la noirceur du sol.

L'adjudant expliqua «  c'est toujours comme ça, pour les suicides. Le bout du canon du fusil étant trop loin, les hommes se déchaussent et actionnent la queue de détente avec l'orteil pour tirer. Celui-là ne s'est pas loupé on dirait... ».
Kreminskaia se tint coi. Quelque chose n'allait pas. La scène ne collait pas avec ce scénario trop évident. Il ne savait pas quoi exactement, mais son instinct lui disait que tout sentait la préparation. Il faisait trop sombre encore pour y voir précisément mais le visage du mort ne reflétait pas la résignation ou le soulagement, ni même l'angoisse. Du peu entrevu, c'était l'épouvante, la panique qui se lisait sur les traits déformés du jeune soldat.

Kreminskaia ordonna qu'on amène un médecin et un brancard. Il réquisitionna une tente sur le secteur et imposa au médecin de mauvais poil qu'on lui amena, de prendre soin du corps et de revenir ce matin à 10 heures pour l'examiner. Il chargea l'adjudant de permanence d'organiser une garde de cette tente avec défense d'y entrer jusqu'à cette même heure.

Puis Kreminskaia retourna à sa tente se recoucher. Peine perdue, le stress de la marche et de la découverte du corps ne le lâchaient pas. Ses anciennes fonctions civiles au sein de la Section Criminelle du Corps spécial de la Garde à Novgorod lui revinrent en plein visage. Une petite voix narquoise lui disait:
« C'est fini, petit homme, tu n'es plus policier, tu es soldat. Pas un grand soldat, mais un soldat quand même. Ce n'est plus ton rôle de fouiner dans la vie des autres et de jouer au pauvre justicier incompris. Tu as perdu et tu es parti t'engager. N'y reviens plus, ce n'est plus ton travail ! »
Kreminskaïa se leva:« Peste soit de ce mauvais choix. Voyons un peu cette histoire. Si la guerre m'en laisse l'occasion ... »
vétéran Kreminskaia (Mat. 34621)
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Message par vétéran Kreminskaia » Jeu Fév 23, 2012 7:30 pm

Le jour finit par percer la brume épaisse de la nuit et une lumière blanchâtre tombait brute sur les campements. Kreminskaia retourna sur les lieux de découverte du corps. Il revit la tâche écarlate du sang qui avait bruni et se craquelait. Un voile blanc de givre recouvrait finement le sol en donnant au paysage une tonalité irréelle.
La tente sous laquelle reposait le corps était toujours gardée. Le médecin arrivait, baillant, avec sa mallette à tortures, en même temps que Kreminskaïa.
Sans un mot, les deux hommes se saluèrent d'un mouvement de tête, soulevèrent un pan de la tente et entrèrent. La tâche qui les attendait ne serait pas la plus agréable.

Le corps reposait sur le brancard les bras raides. Les rigidités cadavériques n'avaient pas disparu, la manipulation du défunt ne serait pas aisée.
Ils se penchèrent sur le corps du jeune Vlassili KONOPATCHKY et commencèrent à procéder au déshabillage. La capote grise de la milice fut retirée et examinée. Puis vint le tour de la veste, d'un chandail, et de plusieurs couches de maillots de corps. Vint ensuite le tour du pantalon. Là, les deux hommes s'arrètèrent.
Les pantalons superposés pour lutter contre le froid que portait le jeune Vlassili étaient retournés de l'intérieur et sur les bords extérieurs, comme s'ils avaient été remontés très fort. Kreminskaïa se remémora cette histoire à Novgorod d'une jeune fille violée puis assassinée à l'arme blanche. Son meurtrier l'avait rhabillée après sa mort et ses habits présentaient la même pliure intérieure. Etrange....
Après le déshabillage complet du corps, vint l'examen attentif de la peau, à la recherche d'écorchures ou d'hématomes, en particulier sur les zones de préhension. Deux tâches brunâtres suspectes étaient relevées sur la face antérieure du cou. Ensuite, trois points d'ecchymoses pouvant correspondre à une pression de doigts étaient constatées dans le creux axillaire (l'aisselle) de chaque épaule. Kreminskaïa et le docteur se regardèrent et firent une grimace. Mauvais signe, ces traces montrent que le corps a été tiré, déplacé et qu'une strangulation, même légère, est probable.

Le médecin se pencha ensuite sur la blessure sanguinolente qui défigurait la victime. L'orifice d'entrée de la balle sphérique avait causé de gros dégâts dans le visage du défunt. Sa machoire était brisée, beaucoup de sang avait coulé. Le médecin prit un linge qu'il mouilla dans un seau d 'eau propre afin de nettoyer la plaie. Un trou sphérique noirâtre apparut.
Kreminskaïa regarda le médecin. Il se souvenait de ses cours de criminologie appliquée dispensés par le médecin légiste doyen de la faculté de médecine de Novgorod:
« Il importe de bien connaître les éléments d'observation permettant d'évaluer les distances de tir lors de blessures par arme à feu. Ainsi, le tir à bout touchant est le tir effectué canon appuyé ou posé sur la peau. C'est le cas en particulier dans des affaires de suicides. Il y a ensuite le tir à bout portant. C'est celui où l'extrémité du canon est située à 2-3 centimètres de la peau. Ensuite, il y a le tir à courte distance, moins de 30 centimètres de la cible. Dans ces cas-là, on observe autour de l'orifice d'entrée du projectile, sur la peau, des tatouages. Ce sont des incrustations dues à des fragments de poudre plus ou moins enflammés venant se ficher autour de l'orifice. Ces tatouages sont bien visibles jusqu'à une distance de tir de 1 mètre. Enfin, on observe également des dépôts de suie noirâtres périphériques dus aux fumées du tir accompagnés de tout petits débris. »

Kreminskaïa se pencha sur le corps et, le soleil aidant, observa l'absence de ces tatouages autour de la plaie. Voilà qui rendait toute cette affaire moins mystérieuse mais beaucoup plus grave....

Finalement, l'autopsie révélait un étranglement (lésions ecchymotiques autour du cou) puis un tir en plein visage, l'absence de poudre et de parcheminement de la peau autour de l'orifice d'entrée du projectile indiquant que l'arme avait été tenue loin de la tête.
On avait affaire à quelqu'un qui s'y connaissait: l'étranglement pour faire comater la victime mais encore vivante pour que la blessure par arme à feu saigne abondamment. Bref, un expert.....

Kreminskaïa, le regard sombre, demanda la rédaction rapide du rapport d'autopsie au médecin, ordonna l'inhumation rapide du pauvre Vlassili au poste de garde puis se précipita hors de la tente pour se rendre prestement chez son chef de corps Zoltan.
vétéran Kreminskaia (Mat. 34621)
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