Départ en Suède

[vétéran Pierre Van Daele (Mat. 37399)]

J'avais passé la matinée à saluer les hommes de mon bataillon et alors que je finissais d'endosser mes habits civils, je revoyais la déception de certains mais aussi pour d'autres un soulagement.
Je leur avais fait par de mes contacts avec Bernadotte, j' étais sous ses ordres dans l' Armée de l'Escaut et je n'avais jamais accepté que l' Empereur lui en retire le commandement alors que nous avions repoussé les Britanniques.
Il m'avait contacté secretement afin que je rejoigne une des armées du Tsar avec lequel il s'était rapproché, mais malgré mon ressentiment envers l'Empereur, je ne pouvais me faire à l'idée de combattre mes anciens compagnons d'armes et entrainer mes hommes dans un combat fratricide.
Une seule solution se présentait à moi, partir en permission pendant que la Grande Armée se réorganisait et rejoindre la Suède.
La guerre s'achevait pour moi mais j' anéantissais tout espoir de retour en France.

[vétéran Pierre Van Daele (Mat. 37399)]

Bernadotte et le Tsar souhaitaient la chute de Bonaparte, ce qui en soi ne me déplaisait guère. Autant j'admirais le Général, autant je détestais l'homme politique. J'étais un soldat de la République, le coup d'Etat et le sacre Impérial avait mis fin à cet idéal.
Mais les Britanniques n'avaient pas les mêmes vues, ils ne souhaitaient pas seulement la chute de l'Empereur, ils voulaient le dépeçage de la France en la ramenant dans ses frontières originelles d'avant les "Guerres Révolutionnaires" et le rétablissement de la Monarchie en réinstallant les Bourbons.
Il était clair à présent que la campagne de Russie scellerait le sort de la France, une défaite entrainerait à coup sur un retournement d'alliance.
L'humiliation faite à certain serait le désir de leur vengeance.

[vétéran Pierre Van Daele (Mat. 37399)]

Je quittais Stockholm pour Varsovie ou se trouvait une forte garnison française. J'étais décidé à me constituer prisonnier, en effet, ayant dépassé mon temps de permission, je devais etre considéré comme déserteur.
A peine me présentais-je, je fus arrêté et mis au cachot.

La Cour Martiale m'attendait.

[vétéran Pierre Van Daele (Mat. 37399)]

La porte de ma cellule s'ouvrit et y entra un Major polonais.

_ Chef de Bataillon Pierre Van Daele, matricule 37399?

_ Lui- même, répondis-je.

_ Suivez moi! dit-il sèchement.

Arrivés dans la cour, une voiture nous attendait. Le Major ouvrit la porte.

_ Montez, je vous emmène chez le Colonel Miechiensky. C'est lui qui a votre dossier en charge.

Nous nous assîmes puis la voiture s'ébranla.

Une question me vint à l'esprit: "Pourquoi est ce un officier polonais qui a en charge mon dossier et non un tribunal militaire?"

[vétéran Pierre Van Daele (Mat. 37399)]

Le trajet s'effectua dans un silence pesant. Nous nous arrêtâmes devant un poste d'intendance. Je remarquais l'absence de soldats français. Ceci me paraissait anormal.
Alors que nous descendions de la voiture, j'osais une question :

_ Hum... Excusez-moi Major, je ne vois point de mes compatriotes.

J'avais à peine fini ma phrase qu'il me répondit :

_ Ils sont partis dans la nuit rejoindre le front sur la Bérézina. Les Russes ont mis à mal la Grande Armée à la bataille de Polotsk mais ceci vous le savez deja! Si les Russes continuent d'avancer, je ne donne pas cher à ma Pologne bien aimée.

Le Duché de Varsovie était né de la volonté de l'Empereur mais il devait soutenir l'effort de guerre dont dépendait sa survie.

[vétéran Pierre Van Daele (Mat. 37399)]

Alors que nous traversions la cour, des soldats s'activaient à charger des charrettes de caisses, de barriques, de sac de provision...des préparatifs de campagne.
Je remarquais un gaillard à l'allure imposante à une fenêtre de l'étage qui regardait les préparatifs.
Nous gravîmes l'escalier puis le Major frappa à une porte.

_ Entrez

Le Major me laissa entrer en premier. L'homme face à la fenêtre nous tournait le dos et avait une singularité, il lui manquait la main droite.

_ Kalinsky, servez-vous à boire.

_ Merci Colonel

Le Major se servit un verre de vodka. Le Colonel restait silencieux face à la fenêtre.

_ Colonel, voici l'Officier Van Daele, matricule 37399.

Le colosse se retourna et me lança un regard froid. Il me dévisagea quelques instants.
Il pointa son bras droit vers moi puis se mit à parler sur un ton furieux.

_ Voyez ce bras auquel il manque son extrémité. Il agitait son bras nerveusement.

_ C'est un cosaque qui me l'a enlevé, vous savez ces chiens enragés que seule la mort apprivoise. En récompense on m'a mis à l'intendance. Il croisa ses bras dans son dos puis se mis à marcher à travers la pièce.

_ Maintenant, je commande des caisses et des barriques, quelle gloire pour un soldat!

Je comprenais sa colère, son amertume. Il aurait certainement préféré mourir plutôt que devenir gratte-papier.
Il s'arreta devant moi. Il me dépassait aisément d'une tête, je ne voyais plus la fenêtre. Je n'osais croiser son regard.

Il alla s'asseoir à son bureau ou se trouvait des dossiers

_ Kalinsky, apportez moi à boire.

Le Major s'exécuta et lui apporta un verre de vodka.

[vétéran Pierre Van Daele (Mat. 37399)]

_ Bien, voici la situation. La Grande Armée a perdu beaucoup d'Officiers sur le front et l'encadrement se délite. Cette campagne étant plus difficile que prévu, l'Empereur à laissé une note à propos des renégats tel que vous. Vous rempilez mais en temps que Sous-Lieutenant, histoire de vous apprendre à vivre ou bien vous retournez d'ou vous venez en attendant la Cour Martiale.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler la sentence pour désertion en temps de guerre, n'est ce pas?

_ Ne prenez pas cette peine, je la connais.

_ Bien.

Le Colonel prit son verre de vodka, le porta à ses lèvres et le vida d'une traite.

_ Alors? Ceci ne vous convient pas? Je vous rappelle que vous n'etes q'un RENEGAT! On ne m'a pas laissé une seconde chance lorsque j'ai perdu ma main, MONSIEUR!.

Il se releva et se remis à faire les 100 pas nerveusement. La colère se lisait sur son visage. Puis, il reprit :

_ Je ne demande que cela de retourner au front, mais on me le refuse sous prétexte de me préserver. FOUTAISES!. Je suis un combattant pas un bureaucrate.
Et vous quel genre d'homme êtes-vous? Laissez-moi réfléchir...Ah oui, Un RENEGAT me cracha-t-il au visage.

Je restais stoïque mais n'en menais pas large, même avec une seule main, il m'aurait écraser la gorge. Pauvre homme, me disais-je. Quel humiliation pour un gaillard de cet envergure, quel combattant il avait dû etre.

Les Polonais étaient braves et courageux. Ils étaient surtout patriotes. La Pologne était leur cause.

[vétéran Pierre Van Daele (Mat. 37399)]

_ J'attends votre réponse. Le Major Kalinsky n'a pas de temps à perdre.

Il faisait preuve d'agacement et d'impatience. Il voulait en finir.

Je ne pus m'empecher de lui répondre sur un ton empreint d'un peu d'ironie.

_ Refuser cette main tendue serait quelque peu suicidaire, il me semble.
Sans mauvais jeu de mots, il en convient.

A ces mots, son teint devint livide

_ Excusez moi Colonel, je ne voulais pas vous offenser. Je parlais de la main de l'Empereur.

Le Major Kalinsky toussa pour masquer son amusement. Le Colonel lui jetta un regard qui en disait long.

_ Je prends donc votre réponse pour un oui.

Il prit un pli sur le bureau qu'il me tendit.

_ Voici votre ordre d'affectation. Vous etes réintégré au 3ème de Ligne au grade de Sous-Lieutenant.
Vous partez avec le Major Kalinsky, il doit apporter des renforts et des munitions aux alentours de Balaklava. La vous trouverez deux compagnies qui seront sous votre commandement.
Et maintenant, rompez!

Le Major claqua ses talons.

_ A vos ordres Colonel!

Surpris par son enthousiasme, je fis de même.

Alors que nous sortions de la pièce, le Colonel le rappela.

_ Attendez moi dans la voiture, je vous rejoins.

[vétéran Pierre Van Daele (Mat. 37399)]

Il arriva quelques instants plus tard avec un paquet qu'il me posa sur les genoux.

_ Tenez, votre nouvel uniforme! J'espère qu'il vous ira. Son ancien propriétaire avait la même carrure que vous.

_Son ancien propriétaire?

_Une jeune recrue qui ne verra plus la guerre.

_Paix à son âme. répondis-je un peu dégouté d'endosser l'uniforme d'un cadavre.

_ Cocher, en route!

La voiture s'ébranla.

_ Il n'est pas mort...Il a eu les yeux brulés. reprit-il.

_ Comment cela?

_ Miechiensky se trouvait avec une compagnie française pour inspection et lors d'un bivouac, ils furent engagées par de nombreux Cosaques. L'effet de surprise fût tel que la compagnie fût rapidement anéantie malgré une résistance farouche. Le peu de survivants furent mutilés, une main tranchée pour les polonais, les yeux brulés pour les français. Seuls cinq hommes sur cent quatre vingt neuf survécurent, Miechiensky et quatre de vos compatriotes.

Il semblait affecté par ces événements. En effet, la campagne de Polotsk avait atteint un tel paroxysme de fureur que par endroit la guerre céda la place à la sauvagerie. Malheureusement, ces horreurs n'étaient pas exclusivement le fait des Russes. Certains éléments incontrolables de la Grande Armée s'en étaient donnés à cœur joie, le récit de leurs actes faisait froid dans le dos.

Varsovie s'éloignait de plus en plus pour ne devenir qu'un point à l'horizon. La route nous emmenait vers notre destin de soldat.