par vétéran Alexandre Majoit » Ven Fév 10, 2012 5:03 pm
Près d'un an et demi. Un an et demi a foulé la Russie, a trainé et usé ses bottes sur la Russie. Un an de neige, de gel, de dégel, de boue, de pluie et de soleil ardent. La Russie a des saisons incroyables. Tout cela, Alexandre Majoit le savait. Lui, le Suédois, ami des Français malgré le revers de veste de l'usurpateur Bernadotte, l’infâme. Il observa Stéphane, son second, manœuvrer ses troupes de fusiliers. De vrais Grognards, digne de la Garde Impériale. Il était fier de ses hommes. Il lui obéissait tous parfaitement et aucun n'osait lui rappeler qu'il était Suédois.
"Faudra que je pense à demander à Sa Majesté l'Empereur la nationalité française..." pensa-t-il.
Le paysage était magnifique. Les montagnes étaient recouvertes de neiges, les vertes forêts étaient devenues blanches depuis déjà quelques semaines et cela allait durer encore quelques temps. L'officier eut une pensée nostalgique pour son pays d'origine. Il aimait toujours sa terre natale.
"Faudra que j'aille visiter Paris quand même... Je profiterai de ma lettre pour demander une permission tiens..."
"P'don Chef?" Son nouvel artilleur le tirait de sa pensée et visiblement, le chef de bataillon parlait tout haut.
"Euh... Rien Jean-Pierre, que puis-je pour toi? Son nouvel adjudant venait de sortir de l'école d'artillerie, fraichement arrivé sur le front russe. Majoit lui avait confié un batterie de 4 livres, reconnue pour sa mobilité plus que pour ses tirs meurtriers... L'homme était petit et trapu, le genre baroudeur, pas franchement celui qu'on aime croiser dans le noir ou avoir contre soi lors d'une bagarre.
"L'armurier de la Garde n'veut rien entendre. Parait que j'dois avoir un mot de vous pour r'tirer mon attelage et mes ch'vaux. Ou alors v'nez en personne."expliqua-t-il dans son français toujours aussi moyen.
Majoit sourit. L'officier semblait prêt à une belle carrière, mais son français le bloquerait pour des postes à responsabilité, cela était presque sûr. Il hocha la tête, lui faisant comprendre qu'il ferrait le nécessaire. L'artilleur partit. Majoit se dirigea vers l'infirmerie. Sa propre troupe avait subi beaucoup de pertes ces derniers temps. Beaucoup d'hommes avaient été blessé et mutilé. Un réconfort ne serait pas mal venu. Lui qui haïssait les hommes de troupe au début de sa carrière d'officier. Un comble.
Il traversa le camp de la Garde Impériale, croisant quelques officiers qu'il salua avec respect, toujours aussi pointilleux sur les grades. Ce régiment était sa fierté. Des hommes, venus de tout bord comme le Belge Brialmont, le Prussien Ludwig Von Lachevin, combattaient et mourraient ensembles. Les meilleurs de la Grande Armée française, ceux qui donneront leurs vies pour protéger celle de l'Empereur. Il souriait fièrement lorsqu'il entendit des hurlements près du poste de garde. Trois soldats étaient arrivés à cheval, arborant un drapeau blanc. Les sentinelles avaient braqué leurs fusils sur eux, prêts à tuer au moindre mouvement brusque. La situation était tendue. Étant l'officier le plus proche, Majoit s'y rendit bien que non armé.
"Grenadier Jean, faites baisser ces armes. Ils portent un drapeau blanc!ordonna l'officier. Les sentinelles se calmèrent mais restèrent sur leurs gardes. Alexandre Majoit reconnut les uniformes suédois: pantalon jaune, haut bleu. Il pesta et faillit ordonner de les abattre. Il se reprit et leur demanda en français la raison de leur venue.
"Nous venir lettre donner à Karl Hildetand"arriva à prononcer l'officier suédois. Majoit transpira, son faciès fut troublé quelques secondes et il se reprit.
"Aucun officier ne répond à ce nom. Partez" répondit-il sèchement et d'un ton qui n'appelle pas de réponse.
"Kom, du och jag vet att du tycker det. Skål kommendera Majoit [Allons, vous et moi savons que vous le trouverez. A bientôt officier Majoit]"L'officier jeta le paquet dans la neige et partit au galop.
Majoit déglutit. Tous au sein de la Garde Impériale savaient qu'il était Suédois, l'officier l'avait démasqué, sûrement à cause de son changement de tête. Il fulminait mais ramassa le paquet. Le regard interrogateur du Grenadier Jean fut remis en place par celui nerveux et furieux de son supérieur. Majoit palpa le paquet, il devait contenir plusieurs lettres. Il fila à sa tente, imaginant bien ce que lui voulait l'Armée de Suède pour faire venir des officiers jusqu'au camp de son régiment. Visiblement, ils savaient où chercher. Tremblant, il ouvrit le colis qui laissa s'échapper deux lettres.