1798

Racontez vos histoires autour d'un verre sous la tente...

Modérateurs : Modérateurs français, Animateurs, Modérateurs russes

1798

Message par Jean Bailly » Dim Oct 21, 2012 1:44 pm

L'odeur acidulée et fleurie n'aura jamais eu de pareil dans tous les pays traversés. L'étendue verte et brune était magnifique, mais cachait un danger ressenti avec une intensité sans précédent. A travers la couche de mousse et végétation de quelques centimètres seulement, tel un tapis uni et jamais foulé auparavant, nous pouvions distinguer les reflets du soleil sur l'eau dormante, cachée.

La tourbe avait laissé place à ce marécage jalonné de troncs antiques noirâtres, de cailloux affleurant et glissant de ce fin lichen ambré. Les oiseaux et moustiques s'y baladaient joyeusement et ces derniers prenaient un malin plaisir à rappeler notre place en ce monde.

Le soldat devant moi glissa et sa botte droite s'enfonça d'au moins trente centimètres. Plantant instantanément son fusil dans la tourbe, une motte molle s'arracha et n'aida guère à lui redonner le peu d'équilibre cherché. Immédiatement, un confrère lui saisit le bras et l'extirpa de ce trou d'eau caché par la couche de végétation flottante.

Nous étions tous à fleur de peau. Dans un terrain ouvert comme celui-ci, nous étions bien trop exposés et il n'y avait aucun moyen de courir sans risquer de disparaître, avalés par le marais.

En file indienne, les soldats essayaient toutefois de faire bonne figure face aux locaux présents en nombre dans les rangs. La distinction était très facile à faire : les soldats Révolutionnaires portaient le bleu et blanc, un uniforme encore propre, leur pas était incertain. Les locaux portaient leurs vêtements de tous les jours et avançaient avec dextérité dans la tourbière. Fermiers, artisans, leurs pantalons et manteaux portaient quelques bandeaux verts ou bleutés. Les hauts de formes et les chapeaux malmenés par les saisons rappelaient ceux du peuple lors de la révolution, caractéristiques des milices.

Par moment, un homme, son long et ancien fusil sur son épaule, courait dans l'autre sens, sautillant sur la végétation comme s'il évitait des trous imaginaires et pourtant bien là. Derrière lui, un jeune garçon blond, au visage sale, un pistolet rouillé à la ceinture et une foultitude de cornets de poudre attachés à une large lanière de cuir, le suivait de très près. Le père, vraisemblablement, hurlait sur des miliciens à l'arrière d'aider les soldats à pousser et tirer le canon. Les roues s'enfonçaient régulièrement et un vieil homme donnait des indications que les soldats peinaient à comprendre tant l'accent et la langue leur étaient inconnus.


Téigh ar aghaidh !

Un soldat s'impatienta, son uniforme trempé de sueurs, le dos douloureux. Il se releva de son labeur et se tourna vers son officier en expliquant qu'il ne comprenait pas ce qu'il racontait et avait l'impression qu'on critiquait le travail des artilleurs sans arrêt. L'officier explosa de rire, peut être afin de détendre l'atmosphère, et rappela au vieil homme de faire des signes plutôt : à droite ou à gauche, oui en effet, c'était plus simple. L'artilleur ronchonna, mais sembla satisfait.

A quelques lieux sur leur flanc, un lac était visible et quelques collines vertes en face. Les quelques deux milles hommes devraient sortir de la tourbière dans une heure ou deux.

Deux étendards flottaient au sein de cette longue armée en marche, bleu et vert.
Colonel Jean Bailly
IIe Bataillon de Gendarmerie Impériale
"Valeur et Discipline"

Image
Image
Avatar de l’utilisateur
Jean Bailly (Mat. 1169)
Colonel
Français
 
Message(s) : 2272
Inscription : Sam Fév 03, 2007 1:44 am
fiche

Message par Jean Bailly » Dim Oct 21, 2012 10:37 pm

La nuit était passée, les troupes avaient marché une bonne partie dans la pénombre en trébuchant dans ce paysage herbeux et jalonné de bosses, cours d'eau et cailloux. Fatigués par la marche et le stress, le vent avait soufflé entre les collines qui les avaient masqués de l'ennemi, laissant la lune et les guides ouvrir la marche. Aussi étrange que cela puisse paraître dans un tel contexte, la fraîcheur de ce vent et le parfum si particulier du pays resteraient dans les mémoires des soldats de l'armée révolutionnaire.

Ils n'étaient qu'une poignée face à une armée dont la réputation n'était plus à faire. Leur mission était, ils le savaient tous, un coup très risqué, qui mènerait probablement vers plus qu'une bataille rangée. Un vrai massacre était escompté par les officiers, et ce, comme ce fut le cas maintes fois par le passé. Toutefois le rôle de l'armée révolutionnaire était d'allumer cette étincelle d'espoir qui mènerait à un soulèvement massif des habitants de toutes les régions de cette magnifique contrée.

Régulièrement je me demandais comment les piques, fourches, gourdins et marteaux permettraient de faire la différence sur le champ de bataille. Les fusils se faisaient rares dans les rangs des rebelles malgré la prise de Ballina et Killala voilà trois et cinq jours respectivement.

Les forces ennemies étaient estimées à plus de 5,000 soldats, soit plus du double de l'armée en marche, avec plusieurs douzaines de canons. La plupart des troupes faisaient face au Nord, Nord Est, à quelques kilomètres de Ballina. Les escarmouches entamées par les patrouilles Françaises avaient leurrer l'ennemi, laissant à penser à un assaut par la route commerciale principale à une vingtaine de kilomètres de là.


Les unités de réserve de la ville se redéployent rapidement face à nous. Nos deux groupes d'éclaireurs confirment la présence de 2,000 soldats et d'une dizaine de canons positionnées face à la colline de Sion.

Le général n'hésita pas une seconde. Il dirigeait une armée de 800 soldats de l'armée révolutionnaire et près de 1,500 rebelles. Il ordonna que trois colonnes soient formées. Les soldats Français flanqueraient des deux côtés le gros des troupes. L'ennemi ne devait pas avoir le temps de mettre en place une défense solide.
Assis sur son cheval, il donna des indications aux chefs et officiers alentours relayant et traduisant les ordres, s'apprêtant ici et là à pied.
Mon coeur battait la chamade, tout comme celui de mes confrères autour de moi. Nous étions fatigués à peine quelques secondes auparavant et à présent chaque membre de notre corps était pleinement éveillé. Le goût de la bile dans la bouche, des tremblements contrôlés, la peur n'était jamais apprivoisée de la même manière à chaque bataille. Il était aisé de lire la haine sur le visages des rebelles. Oui, ils avaient peur, mais ils haïssaient avant tout l'ennemi et le symbole que représentait les troupes postées non loin.

Les soldats s'affairaient, et pour ma part, je prenais le rang au milieu de la colonne de droite comme mon officier nous l'indiquait. Les jambes lourdes et les pieds meurtris ne pouvaient se reposer que quelques instants le temps que les soldats et rebelles se positionnent convenablement.

Sur plusieurs centaines de mètres, plusieurs parcelles, vastes étendues d'herbe, étaient entourées de murets de pierres ou de chemin peu utilisés. Des fourrés et bosquets s'éparpillaient sur la pente de la colline leur faisant face et s'étendant sûrement de l'autre côté. Le terrain ne ralentirait que partiellement l'avancée, de même que le relief ne serait pas difficile à franchir, n'étant que peu pentu. L'ennemi attendait de l'autre côté en bas de cette longue pente, pour sûr.


En avant ! Marche !

Les colonnes avancèrent, les rebelles au centre prenant le rythme presque instantanément. Les soldats serraient leurs armes et les dents.
Deux étendards flottaient au sein de cette longue armée en marche, bleu et vert.
Colonel Jean Bailly
IIe Bataillon de Gendarmerie Impériale
"Valeur et Discipline"

Image
Image
Avatar de l’utilisateur
Jean Bailly (Mat. 1169)
Colonel
Français
 
Message(s) : 2272
Inscription : Sam Fév 03, 2007 1:44 am
fiche

Message par Jean Bailly » Sam Oct 27, 2012 6:55 pm

Le boulet ricocha sur un rocher gris affleurant, venant percuter les rangs dans un bruit étouffé et glauque. Au dessus des chapeaux, je vis presque instantanément les uniformes alentours s'empourprer. Les premiers cris s'élevèrent dans le chaos des détonations provenant des lignes ennemies.

Le sol était soulevé et raflé par les projectiles et le flanc droit, de même que le gauche étaient clairement visés. Les colonnes ne tiendraient pas longtemps sous les tirs réguliers des quelques canons. L'angoisse d'être touché, le réflexe de baisser la tête et d'utiliser le corps du soldat devant comme mince bouclier, personne n'est épargné par la peur dans ces moments.

Percuté au niveau de l'entrejambe, le craquement fut presque inaudible, le boulet continuant sa trajectoire en arrachant jambes et venant s'épuiser dans le ventre d'un rebelle au centre des colonnes. A seulement deux soldats de moi, un groupe s'effondra, fusils et piques avec.

Les tambours travaillèrent et annoncèrent le repli.
Dans le chahut du retournement des colonnes, les soldats n'hésitèrent pas au son du tambour et couraient presque en désordre, malgré la volonté de tenir les colonnes compactes. Les visages étaient mornes, certains étaient terrorisés. Voilà seulement quelques secondes et l'artillerie ennemie avait brisé l'avance rapide. Le général nous vit passer le haut de la colline sous les tirs des canons et ne semblait pas impressionné, perché sur son cheval tandis que tous baissaient la tête.

Les officiers se postèrent sur un murets de pierre à l'abris et firent arrêter les troupes contre celui-ci. Ils avaient vu le champ de bataille et les troupes en contrebas. Le fiasco des premiers instants sembla s'estomper lorsque les tambours rebelles entamèrent un rythme soutenu. La peur sembla oubliée quelques instants, les regards se croisèrent et la rage se lut au fur et à mesure que les secondes passaient. Les blessés et morts n'étaient pas si nombreux, mais les dégâts provoqués par les boulets étaient toujours plus qu'impressionnant.

Le général ordonna alors de former les rangs et donna quelques indications à un groupe de prendre l'Est derrière les bosquets identifiés sur le champ de bataille.


~~~~~

Les lignes étaient formées et avançaient en bon ordre. Les tambours tenaient le rythme, les étendards étaient bien hauts dans le ciel grisâtre. Les soldats avaient été ordonnés de fixer la baïonnette et les innombrables rangs étaient coiffés des lames pointues ou de piques et fourches. Fusils en première et deuxième ligne, les Irlandais tenaient toujours le milieu, flanqués de deux groupes de l'armée révolutionnaire. Les troupes disposaient d'une bonne discipline et le moral semblait au plus haut malgré les évènements précédents et le nombre d'effectifs irréguliers.

Le général passa au galop devant les lignes, l'étendard vert et la harpe jaune en son centre flottant dans le vent. Les coeurs se serraient devant cette image symbolique. L'Irlande rebelle et la France révolutionnaire main dans la main face aux rangs rouges des Anglais.

Presque aussitôt les premières détonations rappelèrent les soldats à leur dessein.
Colonel Jean Bailly
IIe Bataillon de Gendarmerie Impériale
"Valeur et Discipline"

Image
Image
Avatar de l’utilisateur
Jean Bailly (Mat. 1169)
Colonel
Français
 
Message(s) : 2272
Inscription : Sam Fév 03, 2007 1:44 am
fiche

Message par Jean Bailly » Sam Déc 01, 2012 6:44 pm

Tenez le rang !

Les lignes de soldats avançaient en rangs serrés, fusils contre épaules. Les baïonnettes étincelaient.
La pente vers les positions des Anglais était faible, mais engageait les soldats vers le combat. Les premières salves explosaient au loin et un épais brouillard s'échappa instantanément des lignes ennemies. L'odeur âcre et acide de la poudre irrita les yeux des non habitués.

Sur le flanc un officier pointait un sabre vers l'avant, la tête haute. Il s'avança de quelques pas devant les rangs des Républicains et ordonna de s'arrêter, ordonnant à un soldat de prendre le relais du porte étendard boitant, la jambe humide et pourpre.


Premier rang, genoux à terre.

Un boulet vint s'écraser dans les rangs, faisant tomber trois soldats et tuant deux jeunes hommes. Des hommes à genoux furent fauchés par une salve de plombs, un homme portant la main à la gorge instantanément, l'autre s'écroulant pour se tenir le bide en hurlant de douleur.
L'officier resta froid devant la scène et ordonna de viser.

Les fusils s'abaissèrent, lourds, les baïonnettes empêchant un visé précis. Ils n'étaient guère loin maintenant et les Anglais chargeaient autre chose que des boulets dans les canons. Ils se hâtaient, mais semblaient perdre de précieuses secondes du fait de quelques gestes gauches.


FEU !

La salve explosa sur toute la longueur, enfumant les rangs des Irlandais avançant aux côtés d'autres lignes de Républicains.

Troisième ligne, avancez !

Presque machinalement, les rangs prirent place. Les soldats étaient disciplinés, s'inspirant du ton strict et de la maîtrise de leurs officiers.
La troisième ligne visa debout et tira presque aussitôt en une salve unie sur presque l'ensemble de la longueur.

Le canon Anglais tira et déchiqueta une dizaine de soldats. Le trou se résorba difficilement tandis que les soldats se serraient les uns les autres.


Baïonnettes !!

Nul besoin de le crier ou l'ordonner, car les baïonnettes étaient déjà fixées. Toutefois ce mot galvanisait, il était annonciateur d'un combat âpre, et d'une charge que tous, assaillants et défenseurs, redoutaient.
L'officier se tourna vers ses hommes, le regard résigné, tous les muscles de son visage étaient bandés dans un summum surnaturel. Il n'était pas crispé, il voulait gagner, il voulait en finir avec cette avance en terrain ouvert.


CHARGEZ !!

Les Irlandais et autre lignes Républicaines avaient tous vu leur flanc droit baisser leurs fusils et chargez les lignes ennemies. Les milices n'hésitèrent pas une seule seconde et chargèrent sans discipline l'ennemi, rattrapant les Français dans leur charge serrée. Piques, coutelas, marteaux, fusils, baïonnettes, la charge n'était pas qu'un affront à un ennemi historique, mais bien la volonté de faire couler le sang des manteaux déjà rouges.
Colonel Jean Bailly
IIe Bataillon de Gendarmerie Impériale
"Valeur et Discipline"

Image
Image
Avatar de l’utilisateur
Jean Bailly (Mat. 1169)
Colonel
Français
 
Message(s) : 2272
Inscription : Sam Fév 03, 2007 1:44 am
fiche


Retour vers Chroniques de la Campagne de Russie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 6 invité(s)