Le cul de bouteille du tord boyau luisait aux flammes de l'âtre. Les formes se dessinaient dans la pénombre de la pièce sentant le renfermé, le pain et l'alcool à plein nez... Une bien piètre chaumière après tout ce qu'il avait donné pour l'empire... La bouteille tomba de la table sans même qu'il n'essaie de la rattraper, les songes et l'esprit épongeant avec difficulté le chouchenn de notre bon Pater de la paroisse Sainte Brigitte... Enflure s't'alcool, il traverse le système aussi vite que les cuirassiers de Murat à Ulm tiens...
Le feu crépita et il décida de se tourner face à la lumière pour se réchauffer le visage et se réveiller un temps soit peu au passage. C’est alors que l’on frappa à la porte en rugissant les paroles si familières et dénonciatrices du devoir et du sang… Bordel qui sonna si fort aux oreilles qu’il grimaça sous le mal de crâne et la résonance désagréable ne quittant point la pièce, pourtant bien petite par rapport aux palais de Messieurs les Maréchaux.
Entamant une courbette dans le vide, il ramassa le pichet d’eau sur le vaisselier, si l’on peut l’appeler ainsi tant il était miteux et comportant que deux trois assiettes italiennes et quelques verreries egyptiennes. S’aspergeant la figure et le pourpoint bleuté, il prit le vieux linge lui servant de serviette et s’essuyant immédiatement en gueulant t’attendre bordel tant les frappes à la porte se faisaient insistantes et salvatrices d’un nouveau voyage au bout du monde…
Arrivant devant la porte il distingua dans les lueurs filtrant à travers la porte les faibles rayons de la pleine lune, éclairant avec l’aide de la cheminée l’uniforme propre et accroché à un porte manteau contrastant avec le reste de la maisonnée tant par son élégance que par le raffinement de l’ouvrage. De l’hêtre, doux et luisant au touché…
Les images lui revinrent alors même qu’il se tenait droit devant la porte, le soldat à l’extérieur ordonnant d’ouvrir immédiatement, qu’il faisait un froid de Russe dehors…
...Le Maréchal fut fauché par le bombardement effroyable des tirs Autrichiens. L’Empereur lui même n’y croyait pas et toutes les troupes sous les ordres de Lannes s’arrêtèrent sous le poids des canons, de la brume de guerre et le malheur de la perte de cet homme exceptionnel… Coincés entre l’armée Autrichienne et le fleuve, les armées en rangs serrées tentaient tant bien que mal de s’organiser et de tirer sur les positions Autrichiennes avançant inlassablement, menaçant de refluer dans une hécatombe palpable les troupes Françaises sous les ordres de l’Empereur lui même. Les renforts de Davout arrivèrent et c’est dans un fracas douloureux que le pont de l’espoir s’écroula et ralentit le salut des milliers de soldats luttant pour tenir l’ennemi à distance.
Les images s’estompèrent alors même qu’il se rendit compte qu’un autre soldat était arrivé de l’autre côté de la porte et beugla son nom avec force...
Il ouvrit la porte avec fracas, toisant d’un regard mauvais les deux Marie-Louises.
Qu’est ce que c’est que ce bordel, nom d’un pan freluche de basse-cour ?! Vous croyez vous adresser à qui comme ça !
Les deux jeunots se firent petits alors qu’un officier les écarta et remit une lettre fermée du sceau de l’Empire.
Sous Lieutenant Bailly, votre permission et votre demande de quitter l’armée ont été remis à jour. Vous êtes demandé à Rennes pour reprendre vos services. Vous partirez immédiatement pour le front sous les ordres de l’Empereur Napoléon…
...Les images de la bataille fusèrent alors que l’officier lui donnait ses ordres et lui expliquait qu’il était aussi peiné par la mort du Maréchal Lannes.
Le pont fut remis sur pied par le génie de Davout alors que l’on perdait de plus en plus d’hommes. Le lieutenant fut touché et je me retrouvais avec les quelques 400 Normands et Bretons restants sous mes ordres. Dieu m’en est témoin, je maudissais cet officier d’avoir été aussi imprudent et de m’octroyer la responsabilité de tant d’hommes dans un contexte désastreux. Sans vraiment réfléchir, peut être aussi gueusement que cet imbécile de Maureau, je sortis mon sabre et m’avançais en première ligne gueulant de cesser le feu.
Resserez les rangs bandes de larves !
Sous les détonations des canons et de l’étouffement et craquements des impacts sur les compagnies strasbourgeoises de la 978e à l'Est de notre position, mes hommes s’adonnèrent à reformer une ligne compacte, les visages blêmes et bien mal en point. J’hurlais de recharger alors qu’un crépitement lointain vint pulvériser la première ligne dans un sifflement macabre. Une bonne trentaine de Normands s’écroulèrent dans quelques cris de douleurs et le sang giclant de quelques artères en bouillie.
Je m’avançais en avant de la ligne, levant mon demi arçon Leclerc, sabre dans l’aure main.
Visez !
Les compagnies baissèrent les An IX, baïonnettes au canon, en une vague synchronisée et visèrent les rangs autrichiens avançant au pas au loin derrière la brume des vagues de tirs et de la terre retournée, faisant trembler le sol en une vibration répétitive et effrayante.
Alors que je me rendais compte que les compagnies voisines avaient suivi les ordres de mes propres hommes, je sentis l’adrénaline affluer, faisant trembler chaque parcelle de mon corps de cette excitation propre au pouvoir de donner la mort.
L’ordre de tirer donné avec force, les fusils explosèrent sur plusieurs secondes, faisant jaillir une fumée compacte grisâtre, embaumant les vêtements de poudre cramée et de cette odeur caractéristique d’une journée peu joviale…
En ce jour de Brumaire, j’étais devant ces quelques bouffons n’ayant jamais connu cette peur et l’estomac retourné par la chair brûlée et le craquement de la baïonnette dans les côtes d’un ennemi, quel qu’il soit.
Je pris mon uniforme à côté de moi, en mettant mon tricorne noir à la rose française épinglée sur le côté. Alors même que je fermais la porte derrière moi, je puis apercevoir que les soldats étaient pressés et s’étaient déjà occupés de mon cheval…
Rennes, combien de Marie-Louises allaient être victimes de la conscription cette fois-ci…
Je rejoignais le front pour rejoindre ma vraie vie, celle du sang et de la poudre…