Vilpinov a écrit :Plus tôt dans l'après midi, sur une place de Polotsk, devant le Mess, une prise d'armes avait été organisée pour la passation officielle de commandement.
Cher Zoltan,
Je suis fier de vous remettre le commandement de l'Armée.
Vous avez déjà prouvé votre valeur à la tête des Opoltchènes, et je suis sûr que le Tsar ne se trompe pas en vous confiant la lourde tâche de diriger son armée en cette période de guerre contre la plus grande armée jamais constituée en Europe.
Vous disposez d'un Etat Major alliant expérience et jeunesse, bien connu des régiments. C'est exactement ce qu'il faut.
Il y a un an, j'ai succédé au Colonel Saint Hilaire, qui avait magistralement dominé l'adversaire, et au Colonel Yermolov.
J'ai maintenu cette domination, et veillé à ce que le moral de tous nos régiments reste au plus haut, notamment en ordonnant une offensive forcément délicate sur la zone sud de Polotsk.
Nous avons perdu de nombreux officiers de valeurs à Polotsk, mais les jeunes officiers sont pour beaucoup motivés et sauront pallier à leur absence. Vous en êtes vous même la preuve.
Les positions des différentes régiments sont à mon sens excellentes et tous attendent vos ordres maintenant, motivés comme jamais.
Je voudrais remercier un certain nombre d'officiers, j'en oublierai cependant beaucoup.
Je dois beaucoup aux Preos bien sur qui m'ont accueilli dès mon arrivée dans l'Armée. Je ne citerait ici que deux noms parmi beaucoup : ceux des Colonels Styr et Alexandre Nevski qui m'ont largement aidé à acquérir, ici à Polotsk cette capacité à analyser simultanément stratégie et tactique. Je ferai d'ailleurs demain une fête au sein de ce régiment au sein duquel je retournerai combattre.
Je voudrais remercier mes collègues du Haut Etat Major.
En premier lieu Nicolaïkov, à la disponibilité exceptionnelle, à l’enthousiasme communicatif, et qui a magistralement coordonné le IVe corps d'Armée, et lui a donné le moral,l'impulsion nécessaire durant des mois en attendant l'heure de lancement de leur offensive.
Rouskoff a également effectué un travail exceptionnel au nord lors des six derniers mois, en faisant preuve d'une très grande lucidité.
Konig, Ouvarof Barbarian, ont également participé, parfois avec difficulté car souvent retenus à Moscou, mais toujours avec à l'esprit la volonté d'oeuvrer autant qu'ils le pouvaient à la victoire.
Je souhaite aussi remercier les chefs et seconds de tous les régiments. Deux fois ils m'ont accordé leur confiance.
Parfois ils ont signalé la lassitude de leurs hommes face à certaines marches.
J'ai essayé d'en tenir compte.
Mais tout au long de cette année, jamais les régiments n'ont désobéi.
Je ne citerai pas les régiments, car je le ferai alors pour tous.
Un régiment mérite cependant un hommage particulier. Il s'agit du Génie qui oeuvre fidèlement au service de tous, dans la plus grande des discrétions. Je souhaite donc lui rendre ici, ce soir, hommage.
Plus importante que la victoire peut être, la cohésion de notre armée est renforcée par cette campagne de Polotsk. Bientôt la Grande Armée devra se replier, et le peuple russe chantera en notre honneur.
Une autre bataille sera à mener pour repousser à jamais l'envahisseur. Je ne doute pas que nos soldats, que je vous demande de remercier en mon nom, auront la force de vaincre à nouveau.
Cher Zoltan,
Je ne doute pas que vous saurez prendre la mesure de notre adversaire sur ce nouveau champ de bataille, assisté de votre nouvel Etat Major, et avec le soutien de tous les Chefs et seconds des régiments.
Permettez moi de vous remettre les insignes de Commandant en Chef des Armées et de vous saluer militairement.
Vive le Tsar
Vive la Russie
*******
Vilpinov remit ses insignes à Zoltan, recula et le salua.
Zoltan (s'adressant à l'armée massée autour de Vilpinov, armée et marée, marée humaine toute acquise à la gloire de son héros) :
"Camarades, je tiens à remercier au nom de tous le Camarade Vilpinov pour le travail proprement incroyable qu'il a abattu. Avec lui, les français avaient trouvé leur Maître et les russes un père.
Conscient des responsabilités qui sont désormais les miennes, je mesure, à l'aulne du talent du Colonel Vilpinov l'étendue du chemin qui me reste à parcourir. L'homme est parti, mais son esprit demeure. J'espère que nous pourrons encore longtemps compter sur son indéfectible appui."
Le Camarade Vilpinov, visiblement ému lança un regard vers son régiment d'origine. 5000 baïonnettes s'alignèrent, et saluèrent leur Général, afin que nul ne puisse ignorer la façon dont la russie remercie ses héros.
Alors, l'impensable se produisit, de façon spontanée, sans en avoir reçu l'ordre, les tambours du premier bataillon de grenadiers à pieds de la Garde Preobrajensky entamèrent une marche d'enfer, l'ambiance devint hystérique, un paralytique se serait mis à courir.
Je vis alors Vilpinov se fondre dans la masse de ses hommes, à qui il avait tout donné, et, au rythme endiablés des tambours disparaître vers le banquet que le Tsar avait fait organiser pour lui.
Restant seul un instant, pour écraser la larme que je peinais tant à dissimuler, je méditai sur l'avenir et sur le sens des insignes que Vilpinov venait de me remettre. Puis, d'un pas assuré, malgré l'obscurité naissante, j'entrepris de suivre le mouvement...
(Extrait des "Mémoires des guerres de Russie", Zoltan Zoltanevitch, ed. Gagarine, 1823)