L'histoire remonte à quelques mois avant le début de la Campagne de Russie, dans le sud de la France.
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Clément sortait de la grande maison qu'il habitait dans le centre de ce vieux Montpellier. La ville ne s'éloignait pas vraiment derrière les remparts, seul le Pérou semblait s'en aller vers l'arrière-pays. Marchant rapidement au milieu de la Grand'Rue il salua quelques connaissances d'un simple signe de main, il avait rendez-vous et n'aimait pas se faire attendre.
Traversant la Place de l'Oeuf alors que les coups de midi sonnaient à la grande horloge du Théâtre, il remit son veston de façon à ce que le vent humide annonçant les cavaliers ne lui fasse pas attraper froid. En cette saison, on pouvait sans mal dire si l'été serait chaud et sec ou bien s'il pleuvrait et fort heureusement, les cavaliers n'étaient toujours pas passés avec leurs grosses pluies venant du nord.
Après avoir vérifié sur sa montre à gousset qu'il n'était pas en retard, il traversa l'Esplanade et glissa jusqu'à l'ancienne citadelle, devenue depuis la restructuration de la ville, la Caserne du 2e Génie. Passant sur les anciennes douves, il regarda une énième fois l'heure, cette fois-ci sur la façade de l'entrée du bâtiment. Il serait en avance d'une bonne demi-heure, comme à son habitude.
Non sans un sourire ravi, il se présenta donc et se fit emmener devant l'Officier Supérieur qui l'avait appelé. L'attente ne fut pas bien longue, on le convia à entrer dans le modeste bureau de son hôte. Clément se souvenait de la dernière fois qu'il avait franchi cette porte, c'était pour lui demander de partir faire la guerre à la tête d'un groupe de pontonniers, mais visiblement, ce ne fut pas le cas cette fois-ci.
" Monsieur Clément de Dare, je suis ravi de vous rencontrer. "
Après un salut dans les règles, ce dernier fut invité à s'assoir et comme l'étiquette le voulait, il ne prononça pas un mot sans y être directement convié.
" Paris m'a envoyé un message à votre adresse et pour que cela passe par moi, c'est que vous devez drôlement leur être important. "
Le jeune homme qui n'excédait pas la trentaine écoutait l'Officier sans grand intérêt. Il se souvenait de son envoie en permission après qu'il ait refusé un ordre venant de l'Etat-Major lors de la campagne d'Italie et se doutait bien que pour qu'on fasse appel à lui, la chose devait être en effet, drôlement importante.
Attendant la suite, il porta son regard sur le vieil homme qui lui faisait fasse et semblait ne pas connaître la notion du temps. Clément décida donc, comme à son habitude, de bousculer les choses.
" Et quel est donc ce message si important ? "
Non sans une expression de surprise et de joie à demi-gâchée, l'Officier remit à l'ancien membre du Génie un document qui portait la signature de l'Armée. Se permettant de l'ouvrir devant son hôte, il la parcourut et finit par jurer au couvert du pli qui lui était adressé.
" Et bien, je vous remercie de m'avoir reçu, Monsieur. Ne vous inquiétez pas, je ferai savoir mon avis aux personnes compétentes lorsque ceci sera nécessaire. "
Tout en prenant congé, il glissa la lettre dans la poche intérieure de son veston. Une fois ramené jusqu'à l'entrée du bâtiment, il décida de faire une petite promenade.
Il avait été décidé que l'ancien officier du Génie reprendrait du service, non pas à la tête d'un groupe de pontonniers mais à la tête d'une compagnie de gendarmerie afin de faire valoir l'action prévôtale sur le terrain. Sans doute fussent ses études de droit qui lui permettaient d'accéder à ce poste, à moins que son cousin n'ait réussi à lui faire reprendre du service sous un faux-prétexte.
Clément avait désormais le choix entre refuser de servir sa Patrie ou d'aller à la guerre et de remplir son rôle. La deuxième solution semblait être de loin la meilleure et le changerait de ses ballades jusqu'au domaine de Gramont ou ses flâneries au Théâtre. Il lui faudrait un peu de temps pour se préparer, s'excuser auprès de ses amis et de rallier Paris puis semblait-il la Prusse.
Clément était un personnage arrogant et discourtois au possible, héritage de la Révolution selon les dires de son père. Reprenant la Grand’Rue en sens inverse, il avançait à grands pas, alors que le ciel commençait à s’obscurcir. Il ne savait pas réellement combien de temps il avait passé dans les parterres des fleurs, dans les jardins de la citadelle et encore moins combien de fois il avait fait le tour de la Place de L’œuf, il réfléchissant au choix qui s’imposait à lui.
Ce fils de marchand avait un sens aigu pour les affaires, il n’avait donc aucun mal à envoyer les soldats au casse-pipe tant que la fin était là. La guerre était la guerre et l’homme ne comptait pas en tant que tel lorsqu’il était question de prendre un plateau ou d’envahir une ville et malheureusement, Clément avait souvent eu la fâcheuse tendance de mener ses hommes dans des bourbiers et a en changer comme de culotte ce qui faisait de lui un officier bagarreur qui ne semblait pas tenir en haute estime les soldats qui étaient sous ses ordres, il était donc de toutes les missions dangereuses ce qui faisait de lui l’un des meilleurs officiers du génie.
Ce fut qu’une fois chez lui et bien après être rentré qu’il ne prit cette décision. Il avait passé toute la soirée à se remémorer ses missions confiées par l’Etat-Major et il finit par s’avouer à lui-même que cette époque lui manquait. Depuis son retour, il était tombé dans une sorte de monotonie, sans grand intérêt et rebondissement. L’Armée avait été quelque chose de palpitant et il se plaisait à raconter à ses plus proches amis les sabotages de places fortes ou la constructions de ponts au beau milieu du champ de bataille.
L’ancien officier du Génie était dans son lit, entouré par de nombreux coussins et relisait à la lueur d’une bougie la lettre rédigée depuis Paris. Il aurait pu remettre au lendemain l’écriture de la réponse mais se sentait à nouveau plein d’envie. Il se leva donc, enfila son peignoir et rejoignit son cabinet où trainaient quelques documents sans grand intérêt. Il passa ainsi un long moment à répondre avec soin et non sans un style qui lui était propre, au colonel qui lui avait adressé ce pli. Ce dernier avait longtemps combattu avec le montpelliérain et sans doute voulait-il à nouveau l’avoir à ses côtés en Russie. La réponse fut terminée peu avant l’aurore et le jeune homme après quelques griefs alla se coucher, il partirait la semaine prochaine jusqu’à Paris, y rencontrerait son ancien supérieur et rejoindrait la Prusse si rien n’était changé en cours de route.