par vétéran Piotr I. Badratio » Lun Jan 30, 2012 1:15 pm
Fin janvier 1812, aux environs de Krasnoie.
Le jeune Officier russe Piotr Ivanovitch Badration, fraîchement promu Lieutenant au sein de la Garde Preobrajensky du Major Makache, se tenait à cette époque de l'année aux environs de la mine Krasnoie sous occupation française. Les hommes de son bataillon étaient venus se stationner naturellement à proximité du bâtiment, sur la rive opposée contrôlée par leurs patriotes, après avoir poursuivi quelques Français du corps des Grenadiers Réunis, chassés définitivement du moulin Libau.
Les efforts consentis ces derniers jours les autorisaient à prendre du repos que Badration considérait comme amplement mérité.
Vision cauchemardesque ! Quelle n'était pas sa stupéfaction lorsqu'il apercevait avec horreur un escadron de Dragons français surgir d'une partie boisée de la presqu'île, s'avançant d'un pas assuré en direction de sa position.
La Berezina, à cet endroit, était peu profonde. Le terrain, même s'il empêchait toute charge de cavaliers, n'en était pas moins avantageux pour une unité montée.
Machinalement, il porta son attention sur l'étendard tricolore de l'unité.
- "N'est-ce pas l'escadron du fameux Colonel français Percy, Andrei ?" demandait-il sévèrement à son adjudant, quelque peu agacé par cette apparition, aussi désagréable qu'impromptue. "La Brigade Infernale ? A Krasnoie ? Par tous les diables de Sibérie ! Qu'est-ce donc que cette sorcellerie ?" marmonnait-il.
- "Tout à fait exact, mon Lieutenant," lui répondait-elle en observant les cavaliers à la jumelle, puis d'ajouter : "Il s'agit là d'un des Officiers les plus expérimentés de l'armée française, mon Lieutenant. Pensez donc, il m'a été rapporté que le Colonel Percy pouvait se vanter d'avoir pris plus d'une trentaine de nos drapeaux au cours de sa carrière militaire. Son bataillon a rencontré de réels succès contre les nôtres, malheureusement. Plus de trois-cent dix assauts victorieux. Les décorations que vous pouvez apercevoir, accrochées à l'uniforme de cet homme, sont les témoins du respect que nous devrions éprouver pour ce Français et ses unités."
- "En effet, Andrei, la réputation de cet Officier n'est plus à faire. Par ici, les événements risquent d'être sérieux dans très peu de temps," concluait t-il en serrant la mâchoire.
Andrei Polkonski hochait la tête en guide d'acquiescement, puis assurait un rapide salut à son Officier supérieur avant de se porter à la tête de sa 46280ème compagnie.
Les Dragons de Percy poursuivaient inexorablement leur route.
Soudainement, ignorant les fantassins, la cavalerie adverse s'approcha davantage afin de se mettre à portée de tir d'un escadron de lanciers russes. Ils déchargèrent une pluie de plomb en direction des infortunés cavaliers de Sa Majesté le Tsar de toutes les Russies, et rétrogradèrent légèrement, sans pour autant manifester le besoin de se camoufler dans les bois.
- "Mais, c'est qu'ils en viendraient à bivouaquer à cet endroit !" s'écriait Andrei Polkonski, outrée.
Rapidement, se retournant en direction de ses hommes, elle songeait : "Faisons avancer la compagnie... Oui. Assurons une à deux salves,... Histoire de ne pas faire douter ces gens mal bottés sur nos intentions. Invitons-les à prendre davantage de recul, gage d'une distance de sécurité accrue."
Les Mousquetaires russes avancaient à leur tour, plongeant dans l'eau glaciale de la rivière jusqu'aux genoux. Andrei Polkonski commandait un feu de mousqueterie, qui était bientôt suivi d'un autre, tout aussi dévastateur.
L'attaque, vers une heure du matin, semblait surprendre les Français. Dans l'obscurité, il n'était pas aisé d'identifier les conséquences heureuses d'une telle action. Andrei Polkonski décidait ainsi d'interrompre toute activité guerrière, et de ne reprendre le combat qu'au petit matin dans l'hypothèse peu probable que les cavaliers français, avec audace, demeureraient sur leur position.
Ils étaient toujours là.
Piotr Badration était arrivé à hauteur de son adjudant.
- "N'avez-vous pas songer que Percy pouvait vous rendre monnaie de votre pièce, et vous faire regretter un mouvement hasardeux, Andrei ?"
- "Nous imaginent-ils, à tort, à court de ressources, mon Lieutenant ?"
- "Voici votre compagnie dans une situation bien délicate. L'issue d'un tel face à face ne saurait être en votre faveur, mon amie, s'il venait à dégainer le premier. Lui ou nous ? Miseriez-vous, Andrei ?"
- "Mon Lieutenant, me devinez-vous suffisamment irresponsable pour ne pas mesurer les risques encourus ? Je vais attendre encore quelques minutes,... Puis, nous saurons..."
Un feu de mousqueterie déchirait le silence du début d'après-midi. L'unité vaincue se retirait du secteur.
Piotr Badration observait à la jumelle les Dragons français battre en retraite. Une nouvelle fois, son adjudant avait vu juste et avait fait donner sa compagnie au bon moment.
- "Vous pouvez être fière de vos actions, Andrei. Voici une bien belle victoire remportée contre une unité d'élite de la Grande Armée de Napoléon..."
Il s'interrompait. Son adjudant paraissait comme pétrifiée, le regard figé.
- "Quelque chose ne va pas, mon amie. Ai-je dit quelque chose de..."
- "Piotr ? Les Dragons français n'ont pas bronché. Ils restaient à me défier du regard, comme s'ils demeuraient persuadés que nos routes se croiseraient de nouveau. Ils n'ont jamais cédé à la panique... J'ai entraperçu dans leurs yeux une irrésistible envie de combattre jusqu'au bout, jusqu'à la mort... Percy se retire à cause du nombre important de blessés dans les rang de son escadron... Et non pas parce qu'il a été dominé moralement..."
Tristement, Andrei Polkonski reprenait ainsi :
- "La bataille est loin d'être terminée, et le sang va continuer de couler. Tant que nous n'aurons pas pris l'ascendant psychologique sur le Français, il poursuivra la lutte comme s'il défendait les portes de Paris..."
L'Hiver vient !