par Jean Bailly » Sam Déc 22, 2007 6:30 pm
Mais les blessés du 1170e sont morts d'une fièvre liée à une gangrène fulgurante...
L'officier Travers marchait entre les corps allongés dans la grange, quelques soldats s'affairaient par ci par là pour soutenir la tête d'un confrère afin qu'il puisse boire, le long d'une rangée de blessés dont les couvertures étaient empourprées depuis quelques heures déjà, l'on notait des cas nécessitant des chirurgies immédiates.
Derrière ces blessés, un drap crasse bloquait le passage à une partie de la grange qui autrefois servait à stocker quelques meules de foins supplémentaires.
Un cri s'en échappa et le chirurgien sortit le visage blême, les mains ensanglantées, armé d'un couteau écarlate et un tissu de fortune sur la bouche, qu'il enleva d'un revers de main.
Toi, suis moi, bon sang, j'ai touché un nerf, on arrive pas à le stabiliser.
Alors qu'un soldat laissait son fusil à la hâte contre un rondin de bois, il suivit le chirurgien, son visage prenant des couleurs des plus étranges. Alors que le pan se soulevait un instant pour les laisser passer, l'on pouvait entrevoir l'espace d'un instant, un homme allongé sur une table en bois, sûrement celle du fermier, et qui semblait gigoter comme un fou, le bide à vif, du sang suintant de toutes parts.
Henri Travers tiqua, il détourna le regard pour écouter le Chasseur Gendarme qui regardait autour de lui comme s'il redoutait une place dans ce lieu de malheur...
La dysenterie gagnait les troupes et une odeur pesante et âcre envahissait les campements depuis quelques semaines déjà, l'arrivée du froid n'ayant pas amélioré la situation... Loin de là.
Les fièvres avaient empiré pour certains de ses soldats et il en avait vu se lever et faire quelques pas tels des vieillards affaiblis conjuguées à des ivrognes faits. Ils n'arrivaient pas à tirer droit, ils n'arrivaient pas à suivre le pas.
Ils ont dit qu'il fallait beaucoup boire... sale catin, on sait bien, mais celle de Russie n'est pas comme les autres...
Il se tint le ventre un instant, sentant un pincement révélateur et peu appréciable.
La maladie avait frappé nombre de troupes au Nord, avec l'arrivée de bleusailles de l'arrière, on avait maudit les bataillons de l'avoir partagée.
Une fois au Sud, on avait noté qu'elle était déjà là depuis un certains temps, les campements respirant la dysenterie, aspirant à mieux.
Saleté de Russie, vieille folle !
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17/12/1812, Sud Ouest de Brugnov
La brume avait masqué une bonne partie du champ de bataille alors que nous avions avancé dans la neige épaisse, faisant au mieux pour ne pas faire de bruit.
148 hommes... On avait compté la veille, les autres ne pouvaient plus bouger, certains ayant rendu l'âme dans la nuit à cause des blessures ou du froid : un carnage sans nom.
L'heure matinale n'était pas un avantage en soit, les Russes occupant le terrain le soir, mais aussi dans la matinée, faisant tourner leurs effectifs efficacement. Nous avions reculé depuis notre arrivée, mais nous avions permis à quelques bataillons de reformer les rangs alors que nous subissions retranchés en première ligne, derrière quelques bosquets.
Aujourd'hui, on avançait, le Sous Lieutenant Duval l'avait ordonné et tous avaient salué l'initiative, donnant enfin un peu de concret dans nos opérations. Seulement nous devions éclairer la zone, tirer à vue et reculer pour qu'on se fasse relayer.
On avançait telle la garde blanche d'Autriche dans nos manteaux enneigés et glacés, le craquement étouffé et rassurant sous nos pas d'une neige non foulée par l'ennemi dans la nuit. Un homme avait posé son pied dans un piège à ours la nuit précédente, pas beau à voir...
Duval leva la main alors qu'on ne voyait rien à l'horizon. Il avait laissé son cheval à la cavalerie de la Gendarmerie Impériale, il courait dans la neige lui arrivant à hauteur de genoux, faisant de grands pas maladroits pour avancer rapidement et se porter à l'avant de la compagnie.
Je me rappelle bien, il s'immobilisa et leva la main comme pour qu'on se taise, sortant son sabre d'un geste sec.
On ne voyait rien dans cette purée de pois ; à quelques dizaines de mètres, le brouillard gris et porteur d'humidité et de neige, le ciel de la même couleur comme si l'horizon et les cieux ne formaient qu’une épaisse barrière infranchissable, la neige blanche apportant le seul point de repère dans cet environnement et ambiance fantomatique digne d'un mauvais cauchemar, froid et monotone.
Le Sous Lieutenant se retourna vers nous et donna l'ordre de former les rangs, affichant un visage résigné et maintenant que j'y pense, sûrement paniqué.
L'on retournait la neige pour former les rangs, cela prenait du temps et Duval ordonna de ne pas battre le tambour et d'accélérer, baïonnette au canon, premier rang genoux à terre, premier et deuxième rang en joue...
L'on ne comprit que lorsque le manteau neigeux se mit à trembler et que des cris sortirent du brouillard au loin.
Un compagnie Française avait pris position sur notre droite, une compagnie irrégulière, infanterie de ligne, durement touchée durant ces derniers jours de combat... Elle battait le rythme, les percussions rompant le silence Français, l'étendard au clair, au plus haut au dessus de la compagnie.
Duval ordonna que l'on baisse le drapeau, au grand étonnement des soldats.
Tout tremblait autour de nous, les cris se rapprochaient et l'on savait ce que cela signifiait...
Sortant du brouillard avec les mêmes cris tout aussi lointain, des cavaliers se ruaient sur la compagnie sur notre droite, comme des ombres, comme des spectres de la mort.
Les cavaliers traversèrent la compagnie presque facilement, continuant leur route vers le brouillard derrière nous dans une course effrénée.
Un soulagement aurait pu parcourir le 1170e si le brouillard n'avait pas craché à son tour des cavaliers juste en face de nous.
Sabres levés, uniformes verts et chapeaux caractéristiques, la cavalerie Russe fonçait sur nous, à quelques mètres seulement, projetant de la neige tout autour d'eux, tels des destriers surpuissants. Le martèlement continuait et sous la neige, le sol vibrait, tous tenaient leurs fusils en joue et se préparaient au choc.
FEEEEUUUUU !!!!
Les deux premières lignes se couvrirent de poudre alors que l'on distinguait les premières lignes des cavaliers s'effondrer dans la neige, engendrant une pagaille de boue, de neige, de chevaux, des cavaliers, de craquements glauques et de cris écoeurants.
La première ligne tenait ses fusils contre leurs bottes puis les pointaient vers l'avant, les deuxièmes lignes se faisant remplacer par les troisièmes.
Des cavaliers passaient au dessus des cadavres de chevaux avec lourdeur et puissance, leurs cris montaient et l'on redoutait le pire.
Des lances sortirent à leur tour du brouillard ambiant, les cavaliers les pointaient sur nous. Il était trop tard pour changer la formation.
FEEEEUUUU !!!
L'on déchira la mousseline et la compagnie subit la charge de plein fouet, les confrères projetés sur les Français, des chevaux s'écrasant sur tout une ligne de soldats, un cavalier plantant sa lance sous le menton d'un officier ratant son tir au pistolet pour toucher la jambe d'un Français, les cris et ordres fusaient, mais la charge piétinait, elle brouillait, brisant tout ce qui se trouvait sur son passage...
Je ne me rappelle que du cheval qui fit se débattait sur le dos, le cavalier écrasé en dessous, le sabot se rapprochant en un seul instant de ma tête.
Colonel Jean Bailly
IIe Bataillon de Gendarmerie Impériale
"Valeur et Discipline"