Journal personnel d’un presqu’officier.

[vétéran Louis Vasserot]

Gaspard Le Breton



Je ne crois pas au proverbe que, pour savoir commander, il faut savoir obéir.
Napoléon Bonaparte

[vétéran Louis Vasserot]

23 Octobre 1811.

Me voilà chef de deux compagnies de deux cents hommes chacune pour soixante kilomètres de marche, ces soldats sont pour la plus part des jeunots mais encadrés par quelques vieux loups ils s’aguerriront vite. Aucun doute là-dessus.

Le capitaine Ader nous a envoyé à la caserne de Châlons, nous y rencontrerons un bleu fraîchement issu de l’académie, et je dois lui servir de matrone sans trop heurter sa sensibilité de bourgeois. Il en a de bonnes, le haut galonné !

M’enfin, je tacherai de guider les gars le temps que le p’tit se fasse au commandement.

[vétéran Louis Vasserot]

24 Octobre 1811.

Nous sommes en formation dans la cours de la caserne depuis le lever du soleil et le voilà qui débarque, deux heures plus tard, en tenue d’apparat. Des sifflets sortent des rangs suivis par quelques rires gras. J’y mets un terme après avoir profité quelques secondes du spectacle. L’officier semble lui-même s’en amuser puisqu’il salue, tout sourire, ses futurs soldats avant de mener son cheval à l’écurie.

Il s’approche ensuite de moi, je fais un pas en avant et je me mets au garde-à-vous. Il me tend sa main que je serre fermement puis me remet un billet du Capitaine Ader.


Note à l’intention du sous-lieutenant Louis Vasserot.

Officier, d’ici deux jours vous prendrez le commandement de deux compagnies de deux cent hommes chacune. L’adjudant Gaspard Le Breton sera votre second ; il est un soldat habitué au combat, tiré du rang pour devenir un soutient au jeune commandant que vous serez.

Présentez-vous à la caserne de Châlons, rencontrez-y l’adjudant Le Breton et remettez lui cette lettre.

L’empereur place en chacun de ses serviteurs d’immenses espoirs.
Vous n’êtes pas autorisé à le décevoir.
Vous n’êtes pas autorisé à déshonorer ceux, dont je fais parti, qui ont contribué à faire de vous un officier de la Grande Armée.

Autoritairement,

Capitaine F. Ader

[vétéran Louis Vasserot]

12 Décembre 1811.

Le p’tit me regarde commander, il examine avec attention mon comportement et mes contacts avec les autres soldats. Au début, ça me faisait bizarre, mais faut croire qu’avec le temps je m’y suis fait.
« Je suis l’élève de tout ceux qui savent ce que je ne sais pas. » m’a-t-il dit avant d’ajouter : « Et, dans l’Art de diriger des soldats, tu es mon maître... »

Vingt-cinq ans, quasi imberbe, m’enfin il en a dans la caboche le p’tit gradé. Il a vite compris que nous autres, les vieux, il faut nous brosser dans le sens du poil. Espérons simplement que je réussisse à lui léguer l’ensemble de mes maigres connaissances avant notre arrivée sur le front.



Traverser l’Empire n’est pas de tout repos, il neige, il vente, il pleut ! Mais cette longue marche a pour effet de souder la compagnie autour d’un but bien précis, offrir au Grand homme une victoire de plus !

Et puis nous sommes guidés par Felix, un chien errant, nouvelle mascotte de la compagnie.

[vétéran Louis Vasserot]

12 Janvier 1812.

Les fêtes sont passées, un peu de baume au coeur pour les jeunots loin des jupes de maman et les papas privés de leurs épouses et enfants. Le courrier a de plus en plus de mal à nous parvenir, et nous ne sommes même pas encore au front. M'enfin, on peut pas leur jeter la pierre aux gars de la logistique, difficile de parfaitement coordonner le déplacement d'une telle armée, le manger nous arrive et c'est bien l'essentiel !

Le Lieutenant a promis de faire ce qu'il pourrait pour accélérer la venue des lettres; sans doute s'inquiète t-il de ne pas recevoir de nouvelles de la demoiselle de son coeur restée en Champagne. Mais les vieux loups comme moi préfèreraient qu'il se démène pour nous dégotter quelques bouteilles d'alcool local.

Il donne ses premiers ordres et j'avoue qu'il sait capter l'attention des gars. Une bonne chose d'accompagner les discours par la gestuelle, l'expression, le ton et la voix qui conviennent... Parfait !
Il me fait appeler de temps à autre afin que je valide ses décisions mais il ne s'agit désormais plus que de confirmer ses choix.