Nuit du 7 au 8 décembre : prise de Pêche.
Le moulin stratégique "Pêche" de la cote 141/155, contrôlant les fermes Marengo, Tann et Wagram, était tenu et protégé par des unités de la Division Romanov : les généraux Rassonov (matricule 47107), qui avait amené ses grenadiers, ses fusiliers, ses voltigeurs et ses chasseurs à cheval, et Kroutchef (matricule 39547), qui lui disposait d'une compagnie de fusiliers (l'autre été tombée sous les coups du général Frédéric Saint-Sauveur de la Garde deux jours plus tôt), une autre de miliciens, et son escadron de cuirassiers ; en outre, les deux compagnies de fusiliers du Major LATANIER (matricule 53613) flanquaient le moulin d'un peu plus loin, à l'Est et à l'Ouest. Depuis quelques jours, la Garde et la Gendarmerie impériales, par l'Ouest et le Sud, avaient approchés leurs détachements de la cible. Le temps jouait contre les français, la solidité et l'état des bataillons russes appuyaient l'assurance de ceux-ci. Mais les hommes de l'Empereur refusaient de croire le Destin contre eux et leur Empereur, malgré tous les terribles évènements des derniers affrontements, surtout ceux des secteurs de Prostoy et Oba Berega, quelques semaines seulement plus tôt. Chargées de tenir un tiers de la ligne de front, la Garde et la Gendarmerie, qui n'alignaient pas le quart des effectifs totaux de la Grande Armée, avaient combattu avec bravoure et pugnacité la Division Romanov et l'Armée du Tsar, qui cumulaient le double des effectifs de leurs vis-à-vis français et représentaient presque quarante pourcents de l'armée d'Alexandre... Certes, aujourd'hui, l'Armée du Tsar s'était détournée vers le Nord, et la Division Romanov n'alignaient plus toutes ses troupes face au Sud. Mais les sacrifices de la Garde et de la Gendarmerie n'étaient-ils pour rien dans l'avancée des autres troupes françaises, ailleurs sur le front, qui avaient contraint les russes à réduire leurs forces au Sud-Est ?
Quoi qu'il en soit, il fallait désormais reprendre Pêche, avant que les russes ne se sentent assez confiants pour installer un camp à la ferme de Marengo. Les troupes françaises, en cette nuit fatidique, alignaient les unités suivantes : pour la Garde impériale, d'abord le Colonel-général de la Garde, le général Frédéric Saint-Sauveur (matricule 710), avec ses deux compagnies de fusiliers, sa compagnie de miliciens et ses cuirassiers ; pour la Gendarmerie impériale, le Grand Prévôt, le général De Villeneuve (matricule 5192) avait amené ses deux compagnies de fusiliers, ses hussards, et ses miliciens (toutefois fort amoindris, et qui portaient les insignes du Génie), et le Vice-Prévôt, le colonel Jean Bailly (matricule 1169) avait avec lui sa deuxième compagnie de fusiliers, ses miliciens et ses lanciers, quand le colonel Lupus (matricule 41313) avait amené sa première compagnie de fusiliers et sa batterie d'artillerie. En outre, la Garde avait également a proximité, mais ne pouvant attaquer qu'un peu plus tard, le colonel Jean Merveille (matricule 52707) qui disposait de ses grenadiers et de ses lanciers, et le colonel Saint Cyprien (matricule 51608) avec ses deux compagnies de fusiliers.
Le chef de la Garde impériale, avec panache, accepta de céder le premier assaut aux Gendarmes. Goguenard, il ne pu s'empêcher de leur adresser une petite pique, au moment où les officiers se séparèrent pour donner leurs derniers ordres et conduire leurs troupes :
- En vérité Messieurs, il m'est dur de ne pas mener l'attaque ; mais je vois bien que votre Vice-prévôt pique déjà du nez, et je crains qu'à son âge, si je le force à trop attendre le combat, il ne s'endorme sans plus faire bouger ses hommes et que, Foutre-Dieu ! les lauriers de cette victoire ne lui échoient jamais.*
Alors, le premier à s'engager fut le bataillon des Loups Noirs du colonel Lupus. Celui-ci fit mettre en batterie son artillerie ; mais ses fusiliers, qui ne craignaient pas les russes, firent montre d'un courage supplémentaire, car avant même que les canons ne donnent, ils allèrent se placer au plus près du moulin occupé par les Ivans : tous avaient décidé de faire ainsi, quitte à subir le feu des canons de leur propre commandant, car ainsi ils pourraient surprendre au corps-à-corps l'ennemi sitôt celui-ci réveillé par la bombarde. Alors, à deux reprises, les canons légers donnèrent sur les fusiliers de Kroutchef qui occupaient le moulin, et, mal réveillés, ils furent mis en déroute à la baïonnette par les fusiliers. Le bombardement fit sur les compagnies russes du moulin et des abords quelques treize tués, et probablement le triple de blessés ; mais il fit aussi aux "loups" un tué et six blessés avant même leur assaut au corps-à-corps. Quant à ce dernier, il causa aux "loups" neuf tués et vingt-deux blessés, mais les fusiliers de Kroutchef laissèrent derrière eux cinquante-neuf tués et trente-huit blessés. Le moulin était pris, à la surprise du colonel Lupus, qui n'avait eu comme espérance que d'assez affaiblir la garnison pour qu'une autre compagnie française puisse en finir. Les "loups" occupèrent un instant le moulin : ils n'étaient plus que cent dix-neuf valides, se retranchant et tentant de protéger leurs cinquante-cinq blessés, fatigués ; et au loin, leurs camarades artilleurs étaient bloqués, leurs chevaux trop fatigués pour bouger les lourdes pièces qui étaient à cet instant privées de poudre.
Mais les "loups" n'occupèrent que très peu les lieux : Bertrand Duval, l'un des adjoints du colonel Bailly, arriva rapidement pour relever le premier assaut : prenant vivement la garde du moulin, il s'y retrancha et fit assurer le drapeau français au sommet, bien déterminé à ne pas s'en faire sortir par les russes encore nombreux autour, qui semblaient pour l'heure hagards de la violence de l'assaut, mal renseignés, d'évidence, sur les capacités du Français à faire montre d'ardeur nocturne.

Situation à minuit et demie
Mais le Vice-prévôt de la Gendarmerie ne se contentait pas de ce seul coup : ses miliciens s'avancèrent et déchargèrent à plusieurs reprises leurs fusils sur la compagnie de fusiliers de Rassonov, qui, voisine du moulin, pouvait désormais menacer celui-ci. Ses lanciers, qui, en fin de journée, avaient déjà mené un raid contre les fusiliers finalement mis en fuite par les troupes de Lupus, eux, étaient trop fatigués pour agir.
Enfin, le Grand Prévôt lui-même fit avancer ses troupes, avec comme d'habitude le talent d'un grand joueur d'échec, affaiblissant soigneusement les unités dangereuses : ses miliciens, en premier, adressèrent une pluie de balles à la compagnie de fusiliers du Major Latanier qui couvrait le secteur à l'Ouest du moulin, les affaiblissant. Ce furent ensuite ses hussards qui s'avancèrent contre les fusiliers de Rassonov précédemment ciblés par les miliciens de son adjoint Bailly : une solide mêlée, sabre au clair, sur les russes toujours pas remis de leurs émotions. Enfin, sa première compagnie de fusiliers : se plaçant au milieu des champs brunis par la fin de l'automne, les plants laissés à pourrir sur pied par les paysans qui s'étaient enfuis à l'arrivée des armées, ils tombèrent sur les voltigeurs de Rassonov ; décidés à jouer de la baïonnette, ils donnèrent d'abord contre ceux-ci, puis ensuite contre les chasseurs à cheval de Rassonov qui ne s'étaient pas non plus enfuis, sidérés par la rapidité de mouvement des français ; et comme aucune des deux unités russes ne fuyait, tétanisées par la peur, De Villeneuve fit remettre pareillement le couvert : si les chasseurs ne bougèrent toujours pas, en revanche, les voltigeurs survivants s'enfuirent, hurlant de douleur et de peur.
Les gendarmes avaient fait leur part, et, épuisés, ne pouvaient plus faire mieux. C'était maintenant le tour de la Garde, et pas des moindres en importance : car il fallait au moins amoindrir assez l'ennemi pour sécuriser la conquête de Pêche, sans quoi les français auraient été balayés par une contre-attaque, et leurs efforts et sacrifices rendus inutiles ; et dans l'idéal, il fallait achever autant de compagnies russes qu'il était possible. Saint-Sauveur fit avancer à son tour ses troupes, se chargeant de ce travail critique : d'abord, sa compagnie de fusiliers, qui manqua de peu de mettre en déroute les fusiliers de Rassonov et de sécuriser ainsi le flanc Ouest du moulin. Il fit ensuite avancer ses miliciens : ceux-ci, décidés, montèrent à l'assaut, leurs baïonnettes luisantes sous la Lune et les étoiles dégagées : en un seul mouvement enveloppant par l'Est, passant en furie entre les compagnies russes restantes, ils dispersèrent d'abord les chasseurs à cheval survivants de Rassonov, puis s'enfoncèrent dans le flanc des fusiliers qui, cependant, tinrent encore bon, peut-être trop perdus pour savoir par où fuir : peu importait, car le Colonel-général lui-même, à la tête de ses cuirassiers, arriva pour sabrer les indécis, dont enfin les survivants prirent leurs jambes à leur cou...

Situation à trois heures dix
Pour les troupes du Tsar, la nuit avait eu des allures de cauchemar sanglant. Leur réveil risquait d'être dur et maussade...
*HRP : Accord de Saint-Sauveur pour faire parler son personnage. Bailly a filé au lit sitôt la phase "gendarmerie" terminée, il me fallait bien un prétexte pour le taquiner
