Les trophés de la Gloire

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vétéran Ivanosky (Mat. 4865)
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Les trophés de la Gloire

Message par vétéran Ivanosky »

A l'époque des guerres napoléoniennes, l'ampleur d'une victoire se constate certes d'après le terrain conquis et les suites plus ou moins décisives de la journée. Elle se mesure aussi au total des canons enlevés à l'ennemi et au rapport des pertes infligées aux pertes subies, donc les bulletins de l'armée ne manquent pas de tenir l comptabilité quelque peu macabre. Mais elle s'affirme plus encore, et d'une façon qui peut surprendre aujourd"hui, au nombre de drapeaux arrachés de haute lutte pendant la bateille. Ainsi l'Empereur ne manque t'il pas de signaler comme premier "résultat" de la journée d'Austerlitz, au lendemain de la bataille, la conquête de 40 drapeaux russes. L'année suivante, il annonce "25 à 30 drapeaux" pris à Iena. L'indécise mêlée d'Eylau, en février 1807, en fournit officiellement 18, de quoi atténuer les doutes qui se font jour. On pourrait multiplier les exemples. A l'inverse, si un bataillon français s'avise de perdre son emblème, comme il arriva à Austerlitz, il en est profondément mortifié "Soldats, qu'avez vous fait de l'aigle que je vous avais donnée ? " apostrophe l'empereur. "Un soldat qui a perdu son drapeau a tout perdu." Mais la colère pédagogique, et cette petite scène soigneusement réglée se conclut par de nouveaux serments enthousiastes.
Cette fétichisation du drapeau conquis ou défendu contribue assurément au conditionnement psychologique des combattants. Aux motivations principales que représentent la fierté nationale et républicaine héritée de la Révolution et l'adhésion personnelle au chef charismatique, incarnées toutes deux dans cet emblème tricolore "donné par l'empereur" à chaque unité, s'ajoute un appel à l'honneur de chacun de tous, à cette "valeur française" d'essence aristocratique dont la notion remonte à plusieurs siècles. La prise d'un drapeau relève en effet de l'exploit individuel, et pour un chef, brandir le sien suffit souvent à ranimer les coeurs, quitte à périr dans ses plis.

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Quelques jours après Austerlitz, à Vienne, Napoléon passant en revue le corps d'armée de Soult fit réunir les officiers du 4ème régiment d'infanterie de ligne et, s'étant placé au milieu d'eux, à portée de voix du fond du régiment, il prononça d'une voix forte une admonestation d'une surprenante violence :

- "Soldats, qu'avez-vous fait de l'aigle que je vous avais donnée? Vous aviez juré qu'elle vous servirait de point de ralliement et que vous la défendriez au péril de votre vie; comment avez-vous tenu votre promesse? [...] où est votre aigle ? vous êtes le seul régiment de l'armée française à qui je peux faire cette question ! J'aimerais mieux avoir perdu mon bras gauche que d'avoir perdu une aigle ! Elle va être portée en triomphe à Pétersbourg et, dans 100 ans, les russes la montreront avec orgueil..."

Injustice, car pour défendre l'emblème de cuivre, 20 hommes au moins avaient perdu plus que leurs bras gauches : leur vie.

Mais cette justification trouvait place dans la stratégie psychologique du grand chef à l'égard des troupiers. Flatter l'encolure, mais aussi cravacher.

Et la conclusion nous est significative :

- " que ferez-vous pour réparer cette honte, pour faire taire vos vieux camarades de l'armée qui diront en vous voyant : voilà le régiment qui a perdu son aigle ?

les malheureux troupiers, qui entendaient tout, étaient au bord des larmes, et ne disaient mot.

- " il faut qu'à la première occasion, votre régiment m'apporte au moins quatre drapeaux ennemis, et alors je verrais si je dois lui rendre son aigle."

Saint-Chamans dans ses Mémoires ajoute :

"Ce discours fut prononcé d'abondance, d'un ton de voix très élevé et avec la plus grande véhémence ; il fit, sur ceux qui l'entendirent, un effet que je ne puis décrire ; je sais bien, pour mon compte, que j'en avais la chair de poule ; je me sentais couvert d'une sueur froide, et, par moments, des larmes me roulaient dans les yeux. S'il avait fallu un instant après mener au feu ce même régiment, il aurait sans doute fait des merveilles."

le 24e léger perdit également son aigle dans la tourmente. Mais, le coucou fut ramassé par un sous-officier du 4e, persuadé d'avoir mis la main sur l'emblême de son malheureux régiment.



Pour conclure, le 4e prit à Austerlitz 2 drapeaux aux Russes, et c'est en l'apprenant que Napoléon accepta d'offrir une nouvelle aigle à ce régiment.

C'était le 24 décembre. Un beau cadeau de Noël.
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