Mozart suicidé ?
Au matin du 27 août, une nouvelle a fait frémir les rangs de la Grande Armée : durant la nuit, l'un des Chefs de Régiment les plus connus de la Grande Armée, le Chef de Bataillon Le Bayard, dit "l'Oudinot de l'armée française" (ou le contraire ?), se serait suicidé.
Dans l'après-midi, les faits ont été relatés comme suit par certains officiers français bien placés : le commandant Le Bayard aurait été brutalement mis aux arrêts par ordre d'un membre du Cabinet de l'Empereur, et hurlant au complot et à la trahison, se serait emparé du pistolet de l'un des hommes du Ministère de la Police venus l'arrêter, et, le retournant contre lui-même, se serait tiré une balle dans le crâne. Arrivé quelques minutes plus tard, un chirurgien de la Grande Armée a décrété le commandant Le Bayard mort, peu avant minuit.
Toutefois, de nombreuses personnes mettent en cause cette version des faits, à commencer par les officiers qui étaient aux ordres du commandant Le Bayard.
Tout d'abord, il faut savoir que le Chef de Régiment était mis en cause dans un procès de la Cour Martiale française, avec deux premières dans l'histoire de la Grande Armée : un premier jugement venait de le condamner à sept mois de prison et neuf mois d'interdiction d'exercer une fonction de commandement, et un appel était en cours. La mort du Commandant était donc bienvenue pour éviter de mettre en cause la stratégie du Général de la Grande Armée, qui avait porté plainte, mais aussi pour ne pas voir la première décision de Justice cassée.
Ensuite, l'ordre d'arrestation a été signé, et ce dans l'urgence et donc sans concertation générale, par l'un des pires adversaires de Le Bayard – tant sur le plan organisationnel que stratégique – dont la nomination au Cabinet de l'Empereur avait déjà soulevé certaines contestations.
Enfin, d'aucuns contestent la version selon laquelle Le Bayard se serait suicidé, et avancent plutôt qu'il aurait été sommairement exécuté par les agents au service du signataire de l'ordre d'arrestation. Il est d'ailleurs à noter que le chirurgien convoqué était membre de l'Armée du Rhin, que le commandant Le Bayard désignait ouvertement comme des conspirateurs et des despotes : l'homme de science aurait donc pu, par ordre ou par ressentiment, laisser mourir le commandant sans lui apporter les soins nécessaires.
Le Général de Brigade Frédéric St Sauveur, membre de la Garde Impériale, avait dit en Cour Martiale, quelques mois plus tôt, à propos du commandant Le Bayard, déjà mis en cause dans un procès similaire : "C'est Mozart qu'on assassine". "Mozart" se sera-t-il donc suicidé, ou aura-t-il été vraiment assassiné ?
Cette affaire rappelle étrangement celle survenue près d'un an plus tôt, mais dans l'Armée Russe : le Commandant Yermolov avait été retrouvé mort, dans son bureau, une balle dans le crâne. L'Armée Russe avait publié rapidement un communiqué annonçant que des espions français avaient été exécutés après qu'ils aient été découverts et reconnus coupables du meurtre de l'officier ; toutefois des bruits avaient circulé selon lesquels le suicide avait été camouflé en meurtre, ou encore que ce meurtre était en réalité un ordre d'un officier russe, peut-être même du Tsar lui-même…
Lupus
L'ultimatum
- "Alors, le « Scribouillard », tu viens encore pêcher des anecdotes ?..."
M'approchant du bivouac où les vieux grognards du bataillon Roscanvel s'étaient réunis, je m'excusais de venir troubler la quiétude de leur soirée de repos. Il y avait quelque temps de cela que je n'avais fréquenté les cagnas, et j'avais besoin d'entendre quelques histoires de soldats pour alimenter mes chroniques.
- "C'est que... la Gazette nous en demande toujours plus... À croire qu'ils ont du papier à écouler... Auriez-vous quelque chose pour moi, Sergent ?"
- "Assieds-toi, j'ai là une histoire qui intéressera sûrement ton patron..."
Le vieux sous-officier que je connaissais bien, tira sur sa bouffarde, se lissa les bacchantes et me gratifia d'un large sourire.
- "Il fait soif... J'ai besoin d'avoir le gosier humide pour une bonne diction", dit-il en me tendant son quart.
Je m'exécutais sur le champ, remplissant largement de rhum le gobelet de terre cuite. Il but à petite gorgées, lentement, prenant plaisir à laisser descendre le fort breuvage ambré qui apaisait mieux que les meilleurs remèdes, les soucis du guerrier après le combat.
Le feu du bivouac faisait danser les ombres sur son visage et apportait beaucoup de solennité à l'instant
- "C'était au début de Septembre", commença-t-il. "On venait de mettre en déroute près de six cent Russes. Trois compagnies d'infanterie et un escadron de hussards qui s'étaient approchés de notre secteur. Un beau combat bien mené comme on les aime au régiment... Le Colonel avait monté une opération avec un autre bataillon et on avait enfoncé les lignes ennemies à la baïonnette, comme à l’entraînement...
Le Colon' passait d'une compagnie à l'autre, félicitant les hommes. « J'aime l'odeur de la poudre au petit matin... », qu'il disait, « Ça sent... la Victoire !... »
C'était son truc au Colon', les coups de mains dans les lignes Russes... Mais tu as l'habitude de mes histoires, hein, « Scribouillard » ?...
On avait les troupes du Lieutenant Frag avec nous. Tiens, il a reçu ses galons de Capitaine-Adjudant Major après cette attaque... Le Lieutenant Frag venait de faire passer une missive au Colon : il restait encore des Russes dans la montagne. Il avait pris des tirs, une salve qui lui avaient couché quelques fantassins lors de l'attaque.
Qui étaient-ils ? On n'en savait rien. Pas une compagnie bien entraînée, assurément... Elle n'était commandée que par un jeune sous-lieutenant.
Mais on ne pouvait pas laisser d'ennemis sur notre flanc. Il fallait faire quelque chose.
Roscanvel réfléchissait. C'est pas que cette compagnie de bleusaille Russe l'inquiétait, mais il se demandait pourquoi elle restait là, seule, isolée dans sa montagne, alors qu'il n'y avait plus rien des lieues à la ronde...
« On va tenter une capture » qu'il nous dit finalement en fin de matinée...
On avait l'effectif pour, mais il fallait regrouper les unités alentours. Pas simple à mettre en œuvre rapidement. Il fallait trouver autre chose.
Roscanvel observait les montagnes à la lunette et appela un des jeunes soldats du bataillon, Le Braz.
« Déshabille-toi ! » lui lança-t-il sans se retourner.
La tête de l'autre ! Il ne comprenait rien et les vieux briscards autour se tapaient la panse de rire !...
« Allons, dépêche-toi » fit Roscanvel, en essayant de garder son sérieux. « J'ai besoin de ton uniforme... Tu as donc des choses sur toi dont tu ne serais pas fier ? Même dans le plus simple appareil, mes hommes doivent être prêts à se battre pour leur Colonel... »
Roscanvel demanda un drap pour faire un drapeau blanc, revêtit l'uniforme de simple soldat car il voulait inspecter lui-même les positions Russes sans être reconnu, et me demanda de l’accompagner.
« On va aller demander une trêve et demander à ce qu'ils quittent le champ de bataille au plus vite... Quel intérêt aurions-nous à massacrer ces pauvres recrues qui savent à peine tenir un fusil ? J'ai décidé de leur laisser une chance... »
- "Ah, il peut en surprendre plus d'un, celui-là ! Impitoyable quand il le faut, pour achever un ennemi dangereux, mais magnanime devant un pauvre « bleu » Russe qui ne comprends rien à la situation et à la guerre... Ces pauvre recrues abandonnées par leur état-major erraient dans la montagne depuis des jours et devaient être à court de vivre et de ravitaillement.
Voici le message que Roscanvel leur avait préparé et que je leur ai lu. Je baragouine un peu le Russe mais il avait tenu à l'écrire en français, langue que tout officier civilisé comprend :
« Sous-lieutenant,
La Gendarmerie Impériale qui vous fait face, salue ici votre courage de vouloir affronter, seul, une dizaine d'unités expérimentées.
Néanmoins, nous sommes prêts à nous montrer magnanimes et à vous épargner car vous êtes la prochaine victime sur la liste (la déroute de 4 compagnies des bataillons Deb et Vendarski vous montre que notre coordination et notre efficacité ne sont pas une légende).
Profiter de votre inexpérience ne serait pas pour nous un trophée glorieux et lutter ici jusqu'à la mort ne servirait en rien les intérêts de votre camp.
En conséquence, je vous propose de rejoindre plus au Nord, le secteur de l'École Militaire Russe pendant qu'il en est encore temps. Envisagez cela comme un repli tactique et non un abandon de poste.
Les vôtres comprendront tout à fait que les circonstances l'exigeaient. Votre capture a été évoquée ce matin en réunion.
Nous vous laissons jusqu'à ce soir minuit pour vous replier. Je m'engage à ne pas ouvrir le feu sur vous si vous êtes à court de mouvement, et si vous offrez de votre côté les garanties de ne pas le faire. Reprenez le chemin de vos lignes à marche forcée, cependant, car nos hommes ont parfois la détente facile et la vue d'un russe isolé réveille parfois nos plus bas instincts.
Nous aurons certainement l'occasion de croiser le fer, plus tard et dans de meilleures conditions, dans un duel où l'honneur de chaque camp sera mieux respecté.
Dans l'attente de votre réponse.
Avec mes salutations dévouées.
Colonel Roscanvel
Duc de Polotsk
Vice-Prévôt de la Gendarmerie Impériale
Ancien Lieutenant-Général de la Garde Impériale »
Voilà la teneur du message que nous leur avons donné, et nous sommes repartis dans nos lignes pour attendre la réponse des Russes.
On a pris des paris... Et je dois dire que j'ai perdu et que je m'en suis plaint au Colon' car faire des salades pareilles pour une compagnie Russe, il n'y avait que lui pour oser faire des choses pareilles... Comme quoi l'honneur de la Gendarmerie Impériale était en jeu et qu'on avait aussi une réputation à tenir, qu'on n'était pas des brigands comme dans certains régiments...
Bref, fallait qu'on s'écrase, et qu'on fasse le poireau jusqu'à la nuit pour que ces petits Russes puissent réfléchir tranquillement s'ils voulaient vivre ou mourir..."
"Alors qu'est-ce qu'il est arrivé ? Comment que ça s'est terminé ?
Ben je crois qu'ils ne savaient pas lire alors ils n'ont pas dû comprendre ce que Roscanvel avait écrit...
Au petit matin, voyant que rien n'avait bougé en face, il n'a même pas adressé un mot à ses officiers. Il a juste fait un petit mouvement rapide de la main, l'air renfrogné, en soupirant, sans même regarder l'adjudant Darrée du peloton de voltigeur qui venait prendre ses ordres.
Le nettoyage a été rapide.... C'est les Gardes Nationaux qui ont fini le travail. On n'a même pas fait intervenir les compagnies d'infanterie..."
"Voilà pour toi, « Scribouillard »... Encore une histoire à rapporter pour ta gazette. Voilà comment on vit et on meurt en Russie..."
Pierre Roscanvel
CITATIONS
- Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur sa capavité à grimper à un arbre, il va passer toute sa vie à penser qu'il est stupide. (Albert Einstein)
- Mon pouvoir tient à ma gloire, et ma gloire aux victoires que j’ai emportées. Ma puissance tomberait si je ne lui donnais pour base encore de la gloire et des victoires nouvelles. La conquête m’a fait ce que je suis, la conquête seule peut me maintenir. (Napoléon Bonaparte)
- Qu'elle soit nécessaire, ou même justifiée, ne croyez jamais que la guerre n'est pas un crime. (Ernest Hemingway)
- Ce qu'il y a de bien avec les guerres civiles, c'est qu'on peut rentrer manger à la maison. (Jean-Galtier Boissière)
- Ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu'ils ont reçu un cerveau, une moelle épinière leur suffirait amplement... (Albert Einstein)