L'École Militaire Russe
*A l'abri d'une tente non loin de Semenevskoïé. Comme à son habitude, tout en écoutant le rapport de son amie Lilya, Katina avait le nez plongé dans la paperasse, lorsqu'une voix bien connue vînt à se faire entendre.
Les bras chargés d'une vatrouchka au miel et d'une bouteille de la meilleure vodka – subtilisée adroitement dans la réserve de Moleskine – Darya se présenta à la tente du Colonel Katina, instructrice de l'EMR, pour l'entretien que cette dernière devait lui accorder.*
~ Bonjour Colonel Katina, heureuse de vous revoir. J'ai à boire et à manger !
*Sortant un paquet de sa besace, la jeune journaliste lui tendit avec un sourire.*
~ Et voilà vos gants… blanc et orange comme vous le désiriez. Pourquoi ces couleurs-là, déjà ? J'ai une mémoire défaillante qui ne s'améliore pas avec les coups reçus sur la caboche.
*Katina quitta des yeux ses feuilles et reconnue d'emblée la jeune Darya. Tout en réceptionnant les dits gants, elle répondit :*
-- Chère amie, il ne fallait pas vous déranger. Moi ou une de mes adjudantes serions passées lors d'une remise en forme à l’hôpital. Et en plus, vous venez avec de quoi se restaurer, vous savez vous rendre indispensable.
*Tout en indiquant un siège elle ajouta :*
-- Je vous en prie installez-vous.
*Puis d'un geste de la tête elle enjoignit Lilya de leur ramener trois verres et de quoi déguster le gâteau. Une fois les trois demoiselles attablées, verre plein et une bonne part de vatrouchka devant elle, Katina désigna sa propre rose blanche et celle de Lilya :*
-- Pourquoi je voulais des gants blanc et orange, m'avez vous demandé ? Voici la réponse : cette rose. Tout d'abord vous devez savoir que chaque homme sous mon commandement, ou celui de mes adjudantes, possède une telle boutonnière, ainsi que certains officiers de confiance, des amis proches. Comme vous pouvez le constater, ce ne sont pas des vraies. Sur le front il est bien entendu quasiment impossible d'en avoir, elles sont donc toutes confectionnées par Lilya. En soie pour les officiers et en chintz ou mousseline pour les soldats.
*Katina sourit en direction de Lilya, but une gorgée et reprit.*
-- Vous savez je suis ce que l'on appelle une fille de la guerre, née et ayant grandi dans un climat de conflits perpétuels. Comme beaucoup, la guerre ne m'a pas volée que mon enfance mais également mes proches, mes parents. Je n'étais alors âgée que de trois ans, au final la seule chose me rapprochant d'eux est ma ville natale, Iekaterinodar, où mes parents y étaient très respectés et aimés, ses habitants sont pour moi ma famille. Cette rose vient de là-bas, la couleur orange est propre à cette ville et le blanc propre à mon histoire. Ce surnom de ''Rose Blanche'' m'est restée, surement car je ne porte jamais la rose orange lors des combats mais seulement lors de cérémonies.
*Katina s'arrêta un instant semblant perdue dans ses pensées puis ajouta :*
-- Mais sinon, et vous ? Je suppose que vous n'êtes pas venue jusqu'ici pour m'entendre divaguer. Alors, que me vaut donc la joie de votre visite ?
*La bouche pleine de l'onctuosité sucrée du gâteau, la jeune fille écoutait son instructrice avec attention… elle avala un peu vite pour répondre à sa question.*
~ Je suis là pour l'entretien sur l'EMR, pour la Gazette Indépendante de Russie… attendez, je sors mes questions.
*Extirpant de sa besace un carnet, la gazetière le parcourut rapidement puis se mit à lire.*
~ Pouvez-vous m'expliquer dans les grandes lignes la structure et le fonctionnement de l'EMR ?"
-- Voyons par où commencer … l'équipe. L'EMR compte actuellement 4 instructeurs : Elro qui dépense sans compter son temps en plans et activités pour l'EMR, moi-même qui m'occupe des parties théoriques. Et pour chapeauter tout ce beau monde : Igor Moleskine plus connu pour son rôle au sein des Jägers Egersky.
Il se dit que Vitali aurait bradé son poste de commandant de l'EMR contre quelques chèvres chétives. Et oui, c'est la crise partout même dans les pâturages ! Cependant, on peut encore l'apercevoir rôder à l'EMR, jamais avare d'un conseil ou d'une anecdote pour nos cadets.
N’oubliez pas Stannis, qui nous a quittés il y a quelques semaines, mais qui a également fait un travail monstre pour l'école.
*Katina attendit que la jeune gazetière eut finit de noter ses réponses avant de poursuivre :*
-- Pour ce qui est de la structure de l'école, elle est comment dire *Katina réfléchie un instant avant d'ajouter* adaptable, oui c'est le terme.
Mise à part la 3° section exclusivement réservée à l'accueil des nouveaux diplômés dont j'ai la charge. Les deux autres dépendent du front. On essaye le plus souvent, quand c'est possible, de mélanger les cadets aguerris avec les petits nouveaux afin de promouvoir l'entraide et la transmission d'expérience. De plus il y a toujours un instructeur à portée des cadets sur le front, que ce soit pour leur donner des ordres, conseils, ou simplement pour les haranguer et les protéger cela s'entend.
*Pendant que Darya terminait de noter, Katina se resservit un morceau de gâteau, "promis je commence le régime demain" pensa-t-elle !
Pendant ce temps, la jeune journaliste notait frénétiquement ce que lui disait Katina. Enfin, elle releva la tête.*
~ Quels sont les objectifs de l'École Militaire Russe ?… Quel but tentez-vous d'atteindre avec les nouvelles recrues ?
-- Le but demandez-vous ? Il est simple, assurer l'avenir de notre Sainte Armée Impériale, répondit Katina sans hésiter.
Vous savez l’École Militaire est le premier chaînon de notre Armée et le plus important, il est du devoir des vétérans de transmettre leur expérience aux plus jeunes, afin de garder une Armée solidaire et forte.
*Elle avala une nouvelle goulée de vodka et rajouta :*
-- Je dirai même qu’il est plus important que les régiments de ligne et le HEM. C'est à l’École Militaire que l'on forme les futurs talents, c'est ici que l'on transmet, façonne de solides bases permettant ensuite à notre Armée d'être efficace, d'évoluer.
Bien sur, je ne vais pas jusqu'à penser que c'est l’École qui permet de gagner ou de perdre une guerre mais, je peux sans sourciller vous dire que sans une bonne formation, point de salut possible, c'est certain !
*Comme Darya apprenait essentiellement par imitation, elle but elle-même une gorgée de vodka et grimaça comme à son habitude avant de reprendre la parole.*
~ Ces dernières semaines, j'ai combattu souvent contre l'École Militaire Française et cette question m'est venue naturellement : quelles sont les différences fondamentales entre l'EMF et l'EMR ? Les forces et les faiblesses d'un côté et de l'autre ?"
-- Mmmh, question difficile s'il en est.
*Katina posa son regard sur les nombreuses cartes et rapports éparpillés ou accrochés un peu partout dans la pièce puis déclara :*
-- Honnêtement je ne sais que répondre. L'EMF est organisée différemment de notre propre école. Tandis que nous, nous mélangeons instructeurs et cadets, en face ils ont une section dédiée à l'élite.
Leur grand nombre m'incite à penser qu'ils effectuent une sorte de parrainage. Soit ça, soit les vétérans ont besoin de retourner à l'école, ce qui expliquerait cette section exclusive de ''vieux'' *badina Katina*
-- Mis à part cela, il n'y a pas tant de différences, leurs anciens se sacrifient pour les cadets, les nôtres également. Et je suppose que les cadets d'en face sont eux aussi submergés de cours théoriques en plus des combats réels.
Peut-être moins de hargne à l'EMF, nos cadets vont aisément aux corps-à-corps, ce qui est moins fréquent en face. À contrario, les leurs semblent peut-être plus disciplinés en ce qui concerne les mouvements et placements. Il faudrait avoir vu les deux Écoles de l'intérieur pour donner une réponse juste.
Mais bon ne craignez rien, l'EMR est la meilleure école, elle viendra à bout de tout et a les meilleurs résultats *déclama Katina debout, des étoiles plein les yeux et le poing levé*
J'en fait trop vous croyez ? ! *conclut-elle en s’esclaffant*
*Darya lui sourit de toutes ses quenottes*
~ Non, pas du tout, je suis d'accord avec vous évidemment… J'adore notre école et bien sûr je ne suis pas objective à ce sujet.
Oui, donc… Revenons à nos moutons… Voici ma dernière question : dans votre travail à l'EMR, qu'est-ce qui est le plus intéressant, exaltant et motivant et, a contrario, le plus ennuyeux, agaçant et déprimant ?
*Katina se rassit, avisa les verres vides, attrapa la bouteille et tout en resservant la tablée, dit :*
-- Le plus intéressant ? Le rapport humain sans aucun doute, le fait de partager notre maigre savoir avec les plus jeunes.
Alors oui instruire est épuisant, il faut répéter la même chose X fois et des fois de plusieurs façons différentes pour que tout le monde finisse par comprendre et tout ça en gardant la même énergie et fraicheur que si c'était la première fois. Et avoir de la patience, oh oui ! Il en faut beaucoup en réserve *s'amusa Katina*
Mais lorsqu'un cadet grâce à nos conseils arrive ne serait-ce qu'à remplir un rapport complet en bonne et due forme ou à faire un CàC efficace, cela nous réjouit au plus haut point et nous rend fière de ce que l'on effectue, d'autant plus lorsqu'il monte en grade ou qu'ils finissent par occuper un poste important à leur sortie de l’École.
Le fait de rencontrer des personnalités différentes également me plait beaucoup, certains de mes amis proches sont d'anciens cadets que j'avais sous mon aile.
*Katina fit une pause pour se réhydrater à coup de vodka puis continua*
-- Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, je dirai qu'il n'y a rien. Rien n'est ennuyeux, agaçant ou déprimant dans ce que je fais. Vous pensez bien que si c'était le cas je n'occuperais pas le poste de Second(e) de l'EMR.
Comme je vous l'ai signifié plus tôt, m'occuper de l'EMR – et donc du futur de notre Sainte Armée – est plus passionnant et gratifiant que de diriger un régiment de ligne.
*La jeune journaliste finit de prendre ses notes et sourit à son instructrice.*
~ Merci pour cet entretien passionnant que vous nous avez accordé, Colonel Katina… Bon, il faut que je m'en retourne étriper du français… Un dernier mot peut-être ?
*Katina se tourna vers son amie Lilya, elles se levèrent, prirent leurs verres, puis à l'unisson s'exclamèrent avant de les vider d'une traite :*
-- NOS VIES POUR LA FAMILLE ROYALE ET NOTRE SAINTE RUSSIE ! !
[NDLR : depuis la rédaction de cet article, le très estimé Colonel Vitali Viatchesla a quitté l'EMR pour galoper cheveux au vent aux côtés de ses frères Cosaques.]
Colonel Katina
BESTIAIRE DES ARMÉES (2)
Notre pigiste de guerre continua ses recherches et voici pour vous, lecteurs fidèles, la deuxième partie de cet article qui vous présentera les genèses drôle, rocambolesque et poétique d'un crocodile, d'une hyène et d'un colibri.
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Alors que nous interrogions le major Croco du 30ème Régiment d'Infanterie sur l'origine de son nom, celui-ci nous répondit ce qui suit, qui ne manqua pas de provoquer la stupéfaction, suivie du gloussement intempestif, de la journaliste de la GIR.
« Effectivement mon surnom provient de ce fameux saurien. Ce pseudonyme attribué depuis fort longtemps par mes camarades proviendrait du fait que, comme l'animal dont il est question, j'ai des petites pattes et une grande gueule !!!
D'aucun précise que, chez moi aussi, c'est la qu... qui dirige mais cela ne peut se dire qu'à une heure avancée de fortes libations dans une taverne... »
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En ce qui concernait l'unité "Himma la Hyène", nous trouvâmes aisément, sous la pile de textes à corriger, notre confrère Killer Ethyl.
Le commandant du IIIème Corps d'Armée nous révéla que nous étions sur une fausse piste... Le nom de son unité de gardes nationaux ne faisait absolument pas référence à l'animal. Notre "russitude" absolue, et condition de femme, nous rendant hermétique aux "jeux de mots laids pour les gens bêtes", notre tueur de fautes dût patiemment nous expliquer son parcours initiatique bercé par la lecture d'une feuille de chou française d'un nom équivalent à "Berezina gelée" – Fluide Glacial – .
Ainsi donc, pour les lecteurs russophones, je me dois d'expliquer qu'"Himma la Hyène" fait référence à cette chaîne de montagne au Nord des Indes et pas à un carnivore au cri déplaisant qui vit dans la savane africaine.
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Nous clôturerons, pour cette édition, avec le Général Aumodre des Autunnois qui nous raconta pourquoi il avait nommé "Colibri" son unité de voltigeurs.
« Pour sa taille, sa fragilité et son perpétuel changement de position. Cette unité avance, attaque et se repositionne systématiquement sur une autre case. Lorsqu'elle est engagée, son sort est scellé.
Le colibri butine sans cesse, change de place continuellement. Sa petite taille et le fait qu'il se nourrisse du nectar des fleurs inspirent la fragilité. »
Sur la pensée "un peu de douceur dans ce monde de brutes" flottant dans notre cervelle, nous allâmes fouiller la bibliothèque du Colonel Nicolaïkov pour trouver dans son encyclopédie ce qu'était un colibri – nous avions dû faire de même pour la hyène, ce genre de bête ne peuplant pas les steppes de Russie –.
Sachez, cher lecteur, que le colibri est un oiseau minuscule des Amériques, surnommé "oiseau-mouche", qui est capable d'un vol extrêmement performant et rapide. Chose surprenante, il peut même voler à reculons.
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Rendez-vous à la 50ème édition pour le troisième épisode de notre "Bestiaire des Armées".
La Gazette